1. L’apostrophe ou la détermination du nom par la situation

“ Le Baiser ” a une construction d’autant plus complexe qu’il associe à une syntaxe dense, tout au moins au début, plusieurs noms sans déterminants :

‘Massive lenteur, lenteur martelée ;
Humaine lenteur, lenteur débattue ;
Déserte lenteur, reviens sur tes feux ;
Sublime lenteur, monte de l’amour :
La chouette est de retour. 220

A partir du troisième vers, la construction est claire : les deux occurrences de “ lenteur ”, qui ne sont pas prédéterminées, sont mises en apostrophe. Cette dernière, soulignée par la composante énonciative et temporelle à travers l’emploi des impératifs “ reviens ” et “ monte ”, est en effet indéniable aux troisième et quatrième vers. Dans une symétrie de la construction, le premier syntagme de chacun des deux premiers vers pourrait également constituer une apostrophe. Les quatre syntagmes initiaux seraient alors construits sur le même schéma syntaxique : un nom mis en apostrophe, précédé d’un caractérisant. Etant donné qu’un nom commun en apostrophe peut recevoir une expansion, le syntagme final des deux premiers vers serait une apposition. L’apostrophe est fréquente dans la poésie de charienne et elle s’affirme comme un signe référentiel fort : c’est en effet la situation qui détermine le nom. L’absence d’article ne correspond donc pas à une absence d’actualisation car, dans la situation d’allocution, les référents des noms sont clairement identifiables, comme s’il s’agissait de noms propres.

Notes
220.

“ Le Baiser ”, Le Nu perdu, O. C., p. 468.