Si le nom propre est l’archétype du mot poétique, la description définie 241 est le groupe nominal qui s’en rapproche le plus, et qui est d’ailleurs parfois considéré comme un “nom propre logique”. C’est plus précisément avec une valeur particularisante que le nom commun joue le même rôle que le nom propre : “ il présuppose l’identification, dans une situation donnée, du particulier auquel il réfère ” 242 . Or, en passant du nom propre au nom commun “approprié”, l’intérêt ne se portant plus sur la seule valeur référentielle, la “propriété” évoquée n’a plus rien à voir avec une difficile notoriété individuelle. L’interprétation du nom se fonde sur son sens et tend à prendre de l’autonomie par rapport au contexte. En passant du nom propre au nom commun actualisé par l’article défini, c’est précisément la dimension d’unicité qui se trouve plus nettement battue en brèche. A la perte d’une valeur référentielle, ce type de syntagme adjoint une perte d’individualité qui est au fondement même de l’abstraction de la poétique charienne. Mais cette perte, parce qu’elle est dynamique, peut être nulle, partielle ou totale : ces différentes étapes, d’une unicité garantie dans la réalité à son effacement dans le réel, peuvent être représentées par l’emploi de l’article défini, et c’est justement la capacité qu’a cet article d’exprimer aussi bien une valeur particulière qu’une valeur générale qui en fait le déterminant privilégié de la poétique charienne.
L’expression description définie est employée par les logiciens pour désigner un syntagme constitué d’un nom actualisé par un article défini et éventuellement complété par les déterminations habituelles du nom : adjectif, relative, etc. C’est d’ailleurs dans la mesure où ce type d’expression est la paraphrase des groupe nominaux introduits par un déterminant possessif que nous n’avons pas réservé une étude précise à ces derniers. Certains linguistes font de la description définie un équivalent du nom propre. D’autres refusent de le faire car, si la description définie permet d’identifier en contexte un référent, elle ne permet pas de le fixer puisque son contenu est variable. Mais dans la poésie de René Char, c’est précisément dans l’instant d’une circonstance que se saisit le mieux une essence.
Marie-Noëlle Gary-Prieur, Grammaire du nom propre, 1994, p. 96.