Un autre paramètre intervient toutefois pour déterminer l’interprétation particulière ou générale d’un groupe nominal : le contexte. C’est lui qui permet de valider le au détriment de un car, selon le contexte, si le maintient les deux interprétations possibles, un n’autorise pas de lecture généralisante. Dans le cas où le fait évoqué n’est pas ponctuel 267 , le contexte est favorable à l’expression d’une généralité, et un aussi bien que le peuvent renvoyer à un référent soit individuel soit générique. En revanche, lorsque le fait est ponctuel, un ne peut être que spécifique tandis que le conserve les deux lectures. Dans “ A M. H. ”, les deux verbes instaurent deux contextes différents : si “ va ” constitue un contexte non ponctuel, à l’inverse, avec “ se précipite ”, l’énoncé est ponctuel 268 . Dans ce dernier cas, l’article indéfini ne maintiendrait pas l’ambiguïté et ne permettrait pas une interprétation générale.
L’article défini peut donc permettre une interprétation généralisante dans plus de contextes que l’article indéfini 269 . Il autorise cette lecture aussi bien dans les contextes non ponctuels que dans les contextes ponctuels. Il est en fait indépendant du contexte, et sa valeur particulière n’est fixée qu’en rapport avec une situation déterminée identifiable. Or, en l’absence de situation référentielle très claire, l’article défini emprunte sa pente naturelle, qui est celle de sa tension généralisante dans la psychomécanique, tandis que la pente naturelle de l’indéfini est la particularisation. Ces deux orientations, qui sont des faits de langue, nous intéressent dans la mesure où elles deviennent déterminantes dans la poétique charienne. Le et un ont bien les mêmes valeurs mais ils ne les réalisent pas de la même façon. Le contexte est donné dans l’énoncé même, la situation en revanche n’est pas toujours précisée. Cette dernière n’est donc que rarement déterminante, et le peut faire jouer toutes ses valeurs, alors que le contexte, nécessairement déterminant, contraint les emplois de un et limite la possibilité de son interprétation généralisante.
En favorisant l’ambiguïté dans des poèmes où la situation est souvent “flottante”, la prédominance de le explique que le poème charien puisse en quelque sorte superposer une interprétation spécifique et une interprétation généralisante. Il réussit, en parlant d’un événement dont il voile les circonstances mais où le monde concret reste très présent, à n’en exprimer que l’émotion qui constitue la vérité du réel.
Outre son indépendance par rapport au contexte, et l’orientation de sa dynamique, l’article défini exprime la généralité d’une façon plus intéressante que un : tandis que ce dernier semble l’exprimer de façon exhaustive, chaque exemplaire de la réalité devant vérifier l’emploi, le a un sens général de façon approximative 270 . Si la généralisation opérée par un est analytique, celle qui est opérée par le est synthétique. Finalement, la tension de un, partant d’une généralisation, s’apparente à une déduction tandis que celle de le, aboutissant à une généralisation, est de l’ordre de l’induction. Dans la poétique charienne, l’article défini est le meilleur garant linguistique d’une généralisation impliquée dans le mouvement d’abstraction.
Nous reprenons l’idée de faits établissant un contexte “ ponctuel ”, auquel on opposera un contexte “ non ponctuel ”, à Francis Corblin (op. cit., pp. 83-90) : il s’agit du contexte propositionnel dans lequel apparaît l’article. Dans un contexte où le fait est ponctuel, l’énoncé est vérifié une seule fois et le référent est spécifique. Dans un contexte où il n’est pas ponctuel, l’énoncé est toujours vérifié et le référent est générique. Georges Kleiber parle, lui, de prédicats événementiels qu’il oppose à des prédicats d’espèce, et à des prédicats stables lorsque les deux lectures, spécifique et générique, sont possibles (Voir L’Article LE générique. La généricité sur le mode massif, 1990).
La relative du nom “ cœur ” réintroduit cependant avec “ exige ” un contexte non ponctuel.
En outre, le peut être générique en toutes positions syntaxiques à l’inverse de un, générique en fonction sujet essentiellement.
“ Même le fait de savoir que les énoncés ont été vérifiés, en réalité, par un nombre très faible d’individus ne s’oppose pas à l’interprétation générique du défini [...] un traitement du défini en termes de quantification universelle n’est pas adapté ” (Francis Corblin, op. cit., p. 92).