a/ Une situation intime

(1) La perception d’une disparition : la perte physique et son retentissement affectif

“ L’Inoffensif ” est un poème de la disparition, de la douleur d’une disparition, celle de la femme aimée à la tombée de la nuit. Le soleil, en se couchant, fait disparaître le corps et surtout le visage d’un être : “ il te dérobe à ma vue [...]. Son départ te fond dans son obscurité [...] soudain tu n’apparais plus entière à mon côté [...]. Le soleil en disparaissant avait coupé ton visage. Ta tête avait roulé dans la fosse du ciel [...] ”. A mesure que la lumière baisse se dilue la personne qui est l’objet de la vision ; elle perd son intégrité physique, se morcelle jusqu’à n’être plus représentée que par ce qui la symbolise le mieux, le visage, signe par excellence de l’humanité d’une personne, avant d’être finalement réduite à une tête coupée, sans identité, qui disparaît en roulant comme un objet.

C’est donc sur fond de paysage crépusculaire que s’efface progressivement cet horizon intime que constitue la personne aimée, qui se perd à l’horizon naturel, dans l’indistinction de l’obscurité montante. Dans la concomitance des deux pertes, celle du soleil et celle d’une personne, c’est la seconde qui est ressentie comme un manque aigu. A la perception physique de la perte correspond un préjudice affectif : les pleurs et le frisson, puis la sensation d’être aveugle, sont les symptômes d’un bouleversement intime si intense que la perception même des contraires est annulée : “ Dureté et mollesse au ressort différent ont alors des effets semblables ”.