c/ De l’énonciation intime à l’énonciation transpersonnelle

Le sujet effectue une sortie de soi non seulement par une projection sur le monde mais également à travers une énonciation qui tend à s’impersonnaliser, à dépasser l’extensité subjective et individuelle du “ je ” en investissant les pronoms de la délocution.

(1) Une identité indéterminable

Le sujet qui prend en charge l’énonciation n’est pas identifié précisément, ni en extensité, ni dans sa description. Le poème ne dévoile physiquement que sa “ main ” et on peut penser que l’interrogation finale, en faisant référence à un “ homme ”, désigne le locuteur 294 . L’allocutaire n’est pas davantage identifié : son sexe est dévoilé par l’accord de l’adjectif “ entière ” au féminin, mais au milieu du texte seulement. Cette femme demeure une silhouette dont on n’évoque à peine le “ poignet ” 295 , le “ visage ” et la “ tête ”. Un glissement peut ainsi s’opérer de pronoms ayant une extensité individuelle mais un potentiel d’identification faible, à des pronoms ayant une extensité plus large.

Notes
294.

Est-ce lui, cet “ inoffensif ” désigné par le titre ? Il pourrait s’agir d’une figure de poète opposée à celle que le poème charien représente généralement et qui correspond précisément au poème “ offensant ” (“ Moulin premier ”, XXXIV, Le Marteau sans maître, O. C., p. 70). La dernière phrase représente plus clairement ces deux éthos contraires, celui de “ l’homme du matin ” et celui de l’homme “ des ténèbres ”.

295.

Le poignet est une partie du corps récurrente dans la poésie de René Char, où il est toujours celui d’une femme, femme charnelle ou beauté poétique (Voir notamment “ Calendrier ”, Fureur et mystère, O. C., p. 133 et “ Relief et louange ”, La Nuit talismanique qui brillait dans son cercle, O. C., pp. 504-505).