A. Les destinataires réels : une parole adressée au niveau de l’énonciation

1. Le dédicataire

La dédicace est une parole adressée à un être généralement réel, existant ou ayant existé, et spécialement l’hommage qu’un auteur fait de son oeuvre à une personne, sous la forme d’une expression située en son début. Plusieurs poèmes de René Char sont ainsi dédicacés, mais l’adresse de la dédicace n’est pas prolongée par l’emploi, dans le poème, de la deuxième personne. Si le tu de “ Vermillon ” 306 désigne Nicolas de Staël, le “ peintre ” de la dédicace, et si celui de “ Bonne Grâce d’un temps d’avril ” 307 , poème dédié “ à une enfant ”, est co-référent de l’apostrophe “ Hélène ”, l’énonciation s’avère souvent plus complexe : “ La bibliothèque est en feu ” est dédicacé “ à Georges Braque ”, mais le pronom de la deuxième personne du singulier au trente-deuxième paragraphe s’adresse à une figure féminine dans une situation érotique :

‘Enfin toute la vie, quand j’arrache la douceur de ta vérité amoureuse à ton profond ! 308

Dans “ L’Eternité à Lourmarin ”, sous-titré “ Albert Camus ”, aucun allocutaire n’apparaît, mais un nous d’interprétation large, qui peut certes inclure n’importe quel dédicataire précis, existant ou disparu. Il paraît ici difficile d’inclure dans les sujets de la déploration celui qui en est l’objet. La première partie de “ Sept saisis par l’hiver ” est dédicacée “ à Claude Lapeyre ”, mais aucun énoncé des poèmes concernés ne le fait réapparaître comme allocutaire 309 .

Le tu de l’énoncé ne reprend donc pas souvent ce tu de l’énonciation qui se manifeste dans l’adresse. Le poème ne représente que rarement en lui-même cette parole véritablement adressée à un être précis de la réalité, qu’il soit mort ou vivant.

Notes
306.

“ Vermillon ”, La Parole en archipel, O. C., p. 368.

307.

“ Bonne Grâce d’un temps d’avril ”, La Parole en archipel, O. C., p. 384.

308.

“ La bibliothèque est en feu ”, La Parole en archipel, O. C., p. 380.

309.

Le seul tu de “ Sept saisis par l’hiver ”, dans “ Esprit crédule ” (Chants de la Balandrane, O. C., p. 534), semble être un double du poète.