b/ Formes du souvenir

Les souvenirs émergent dans une forme traditionnelle, par fragments et de façon obsessionnelle.

(1) Fragments et progression de l’anamnèse

Le premier paragraphe évoque successivement quatre souvenirs personnels qui sont réactualisés dans une situation qui les signifie tout entiers, qui en quelque sorte les résume.

Le visage disparu dans un miroir est réactivé par la présence de nouveau ressentie de son “ ascendant ” : l’expression “ l’ascendant d’un visage ” hiérarchise syntaxiquement les substantifs, et leur ordre permet de cibler précisément la qualité importante de l’objet du souvenir. C’est moins la personne qui compte que la force expressive de son visage, qui en concentre finalement l’essence 331 .

Le second souvenir porte sur la “ table ancienne avec ses fruits ”, expression où l’on peut voir une dissociation par hendiadyn de deux substantifs qu’on attendrait subordonnés l’un à l’autre. Les fruits de la table sont le dernier élément donné dans une résurgence progressive de la situation dans laquelle ils se trouvaient : le regard part de la “ lampe ” pour tomber avec son “ éclat ” sur l’ “ assiette ” posée sur la “ table ” et s’immobiliser sur les “ fruits ”.

La révolte est le troisième souvenir. Liée au souvenir de “ fugues ” effectuées dans des circonstances marquantes, celles des petits matins frais, elle est évoquée dans l’importance qu’elle a revêtue pour la formation de la personnalité du poète : de façon paradoxale, la révolte a remplacé la tendresse.

Enfin, sous la forme d’un cheminement spatial, le souvenir remonte de l’amour actuel, donc acquis, à la quête qui a pu y conduire. Et c’est moins, semble-t-il, l’amour acquis, présent dans une subordonnée temporelle au début de la phrase, qui s’avère capital, que sa quête qui est le moment du désir.

Il y a bien une reconstruction progressive du souvenir, à travers plusieurs scènes ou séquences nécessaires, dans lesquelles ce sont les circonstances qui font advenir l’élément essentiel dans le travail de remémoration. Ce dernier apparaît plutôt en fin de séquence, il émerge en quelque sorte dans un décor qui le fait renaître, qui en motive la réapparition, qui en prépare de façon naturelle, par un enchaînement d’images, le surgissement. Ces images sont d’ailleurs toutes spatiales.

Notes
331.

La force de ce visage rappelle celui du poème “ Envoûtement à la Renardière ” (Fureur et mystère, O. C., pp. 131-132).