B. La communauté de tous les hommes : “ L’Eternité à Lourmarin ”

La souveraineté obtenue par l’absence en chacun de nous d’un drame personnel, voilà le leurre. 344

Avec “ L’Eternité à Lourmarin ”, l’énonciation reste collective mais, sans le titre et le sous-titre, aucune situation particulière ne peut être identifiée. Ce n’est plus le nous clairement inclusif du sujet, qui n’est jamais exprimé, ce qui renforce la valeur universalisante de l’énoncé.

‘L’éternité à Lourmarin
Albert Camus

Il n’y a plus de ligne droite ni de route éclairée avec un être qui nous a quittés. Où s’étourdit notre affection ? Cerne après cerne, s’il s’approche c’est pour aussitôt s’enfouir. Son visage parfois vient s’appliquer contre le nôtre , ne produisant qu’un éclair glacé. Le jour qui allongeait le bonheur entre lui et nous n’est nulle part. Toutes les parties - presque excessives - d’une présence se sont d’un coup disloquées. Routine de notre vigilance... Pourtant cet être supprimé se tient dans quelque chose de rigide, de désert, d’essentiel en nous, où nos millénaires ensemble font juste l’épaisseur d’une paupière tirée.
Avec celui que nous aimons, nous avons cessé de parler, et ce n’est pas le silence. Qu’en est-il alors ? Nous croyons, ou croyons savoir. Mais seulement quand le passé qui signifie s’ouvre pour lui livrer passage. Le voici à notre hauteur, puis loin, devant.
A l’heure de nouveau contenue où nous questionnons tout le poids d’énigme, soudain commence la douleur, celle de compagnon à compagnon, que l’archer, cette fois, ne transperce pas. 345
Notes
344.

“ A une sérénité crispée ”, Recherche de la base et du sommet, O. C., p. 752.

345.

“ L’Eternité à Lourmarin ”, La Parole en archipel, O. C., p. 412.