IV. L’ambiguïté de la non-personne ou l’universel singulier

Hugo Fridriech a fait de la dépersonnalisation une des caractéristiques de la poésie moderne. La poésie de René Char hérite de cette modernité, mais partiellement, et avec quelques nuances. L’universalisation passe souvent par la dépersonnalisation mais, dans la mesure où la première n’est qu’une visée, le mouvement de dépersonnalisation n’est jamais achevé. Les poèmes uniquement fondés sur la non-personne sont rares, et on observe que, lorsque cette non-personne, qui favorise une expression universelle, est utilisée, elle s’informe dans une situation précise, même dans les aphorismes. L’emploi des noms propres de personnes est significatif de cette dépersonnalisation inachevée. S’ils sont des signes référentiels nets, ils n’entrent que rarement dans une relation intersubjective et apparaissent sous la forme de la non-personne. Ils ancrent l’énoncé poétique dans la réalité mais, retranchés de toute relation personnelle et maintenus sur le plan de la délocution, ils sont le support d’énoncés de valeur générale. De personnes, il deviennent personnages, symboliquement représentés par les formes grammaticales de la non-personne.