Dans “ Le Ramier ”, “ le chat de la mort ” et “ la herse du soleil ” sont deux métaphores isolées qui ne font pas directement sens au niveau du poème tout entier.
‘Il gît, plumes contre terre et bec dans le mur.“ Le chat de la mort ” est une métaphore “ pseudo-déterminative ” qui établit une identité par coréférence entre les deux noms reliés par le “ pur relateur syntaxique ” 376 de : la mort prend l’apparence d’un chat. Une telle construction met en relief le comparant, dont la force de représentation est d’autant plus forte qu’il est motivé. L’allégorie de la mort pour un oiseau n’est en effet pas une faucheuse mais le parangon du prédateur qu’est ce félin pour un oiseau. La figure du chat est également motivée par la situation référentielle : le chat peut vraisemblablement apparaître dans l’univers de l’oiseau uniquement décrit par la présence d’un nid. L’image se construit donc à l’intérieur de l’univers de référence. La seconde expression, “ la herse du soleil ”, établit une relation d’appartenance. On peut voir dans cette image une équivalence de propriétés et chercher des sèmes à l’intersection des ensembles des deux compréhensions, celle de l’élément référentiel soleil, et celle de l’élément métaphorique herse : sans doute la forme des barreaux d’une herse rappelle-t-elle celle des rayons du soleil tombant sur le paysage. La catachrèse qu’est l’emploi du verbe tomber pour décrire l’action de la lumière est dans ce cas significative. Le soleil est digne d’être loué, “ chant[é] ”, car il délimite un territoire naturel protecteur. Mais ces deux métaphores sont en fait incluses dans un récit dont l’image principale se fonde sur la relation entre le ramier et le poète. Personnage initial du poème, le ramier sert de comparant au poète dans l’univers de référence qui est premier, celui de l’énonciateur.
L’image majeure de ce poème est en effet celle du “ conscrit ” dans le malheur. Le poème évoque la reconnaissance, en cet autre qu’est l’oiseau, d’une condition misérable équivalente. D’une première strophe consacrée uniquement au comparant, dans une forme de récit à la troisième personne, on passe à une seconde strophe qui établit le parallèle entre le poète et l’oiseau, par l’intermédiaire d’une adresse à la deuxième personne. Enfin une dernière strophe les associe dans un pronom collectif : l’image principale est bien celle du conscrit, qui met en parallèle l’énonciateur et le ramier. Mais elle n’est dévoilée que dans un second temps, après le développement préliminaire, dans une séquence narrative, de l’univers du comparant, univers également perçu dans ses analogies, celle de la mort ou celle du soleil par exemple. C’est elle en tout cas qui structure le poème, dans son sens et dans sa forme. Elle prédomine comme représentation autonome au début, et sa valeur analogique est dévoilée par degrés, au fil des strophes.
Cette mise en parallèle s’avère fortement structurante car elle est surdéterminée par la coexistence même de l’énonciateur et du ramier dans un univers de référence partagé. C’est dans cet univers que se construit l’image puisque l’oiseau y est intégré, et avec lui le chat et le soleil. La correspondance qui permet de donner une représentation de l’énonciateur s’élabore dans l’univers même de ce dernier. Elle est également motivée narrativement. La lutte contre le malheur, qui commence par l’entraide, est rendue possible par une ressemblance entre les deux êtres vivants qui les rapproche effectivement dans l’histoire : “ nous ne sommes plus souffre-douleur ” parce que nous ne sommes plus aux “ antipodes ” les uns des autres, “ nous rallions nos pareils ”. La mise en parallèle se trouve ainsi justifiée par l’émergence de cette coalition finale, et c’est bien ce type de motivation qui la rend structurante par rapport aux rapprochements établis entre la mort et le chat, ou entre le soleil et une herse. Les métaphores du chat et de la herse ne sont ainsi qu’intégrées à cette mise en parallèle.
“ Le Ramier ”, Le Nu perdu, O. C., p. 448.
Michel Murat, op cit., p. 79.