Quelle est la destination du raisin ? Les mains de la vendangeuse 379 . Le rosaire est déjà présent dans le geste de cette femme car ses doigts égrènent le raisin comme on compte les grains d’un chapelet en faisant glisser ses doigts de l’un à l’autre. Les grains sont l’élément commun, absent du texte, mais métonymique à la fois du raisin et du chapelet. Ils permettent de créer l’image de la dévotion, et surtout de passer d’une dévotion pour un travail à une dévotion religieuse. Le geste de la cueillette du raisin produit ainsi le signifié de rosaire avant même que le mot n’apparaisse, d’autant plus attendu que les phonèmes de raisin le font pressentir.
L’image du “ rosaire de la grappe ” sert donc de transition vers l’expression d’une autre relation. Quel est le but de la vendangeuse ? Le terme but est maladroit, et l’univers de référence qu’est la vigne en fin de journée en fait émerger un autre, dont la polysémie joue parfaitement dans le poème : le mot horizon. Si le poème fait des doigts la destination du raisin, leur horizon au sens figuré, il fait parallèlement de l’horizon spatial, au sens propre du terme cette fois, l’horizon visuel et mental du personnage. Au niveau de la vision, la destination de la vendangeuse est ainsi “ le très haut fruit couchant qui saigne/La dernière étincelle ”, à l’horizon du paysage. La vendangeuse a pour patrie le soleil couchant, et l’image du fruit qui saigne est fortement motivée en contexte par référence à la forme du raisin et à sa couleur. Mais au-delà de la vision réelle dans le paysage, c’est un horizon plus spirituel que le terme rosaire suggère. Il n’est que suggéré car il relève d’un invisible et ne peut être d’ailleurs que saisi comme tel, pressenti comme envers nécessaire du visible. 380
On peut rapprocher ce poème de “ Congé au vent ” (Fureur et Mystère, O. C., p. 130) dans lequel on retrouve une femme sur fond de coucher de soleil, femme qui n’est plus une vendangeuse mais une cueilleuse, figure de la choéphore selon Georges Mounin, dont les “ bras ” ont remplacé les “ doigts ”.
On retrouve la structure d’horizon mise en évidence par Michel Collot (Voir La Poésie moderne et la structure d’horizon, 1989).