L’alouette est la figure même de la tension, qui s’élabore sur plusieurs sous-systèmes d’oppositions mettant chacun en jeu deux images, l’air et le feu, la vision et l’audition, la liberté et l’emprisonnement, le début et la fin, l’émerveillement et la fascination. Dans un milieu aérien, cet animal de la tension entre l’air et le feu est une boule enflammée, à la fois “ braise ” et “ ardeur ”, c’est-à-dire chaleur et lumière. La présence de l’air se manifeste d’ailleurs à travers la récurrence de la suite phonétique [R] ou son envers [R] dans les termes “ extrême ”, “ braise ”, “ première ”, “ reste ”, “ sertie ”, “ terre ”, “ maître ” et “ émerveillant ”, prolongée par l’allitération en [R] dans les mots “ ardeur ”, “ jour ”, “ aurore ”, “ carillon ” et “ route ”. L’alouette est ensuite double dans les modes de perception qu’elle sollicite : c’est un animal de la vision et de l’audition, que l’on voit sur fond de “ ciel ” et d’ “ aurore ”, et que l’on entend comme un “ carillon ”. Fractionnant la présence de l’oiseau, cette double perception le rend multiple et difficilement saisissable. La tension qui caractérise l’alouette se manifeste ensuite dans l’espace, où elle est paradoxalement libre et prisonnière à la fois : si elle reste “ libre de sa route ”, c’est dans l’espace déterminé d’une sertissure, celle que le petit jour délimite comme un fond sur lequel elle peut se silhouetter. Elle est également double car, animal des limites du jour et de la nuit, elle est temporellement première et dernière, véritable huissier solaire. La tension apparaît enfin dans l’actualisation et le renversement d’un cliché langagier : on emploie couramment au sens figuré l’expression “ un miroir aux alouettes ” qui désigne au sens propre “ un engin de chasse constitué de petits miroirs qui scintillent au soleil, et dont on se sert pour prendre les alouettes ” (TLF) 387 . Or l’expression est ici revivifiée. Le verbe émerveiller remplace en effet le nom miroir, selon une motivation étymologique puisque ils proviennent tous deux de la même famille latine. L’intrusion d’une forme verbale, celle du gérondif, est un premier facteur de dynamisme. Le second facteur de dynamisme du vers est la réversibilité des termes : “ Fascinante, on la tue en l’émerveillant ” est la version du poème qui inverse la place des formes en -ant par rapport à une phrase possible avec le cliché langagier “merveilleuse/(émerveillante), on la tue en la fascinant”. Cette inversion multiplie les qualités de l’alouette qui, à la fois fascine et est fascinée, à la fois émerveille et est émerveillée. Le clicher langagier reste présent sous sa transformation dans le poème, et les formes actives et passives s’ajoutent ainsi plus qu’elles ne s’excluent. Les différentes images de la tension sont d’autant plus intenses que leurs pôles sont maintenus : l’alouette est par excellence un animal “ extrême ”.
Au sens figuré, l’expression “ se laisser prendre au miroir aux alouettes ” signifie “ se laisser duper pas de belles promesses ” (TLF).