Loin de présenter la même complexité, “ La Grille ” présente une dérivation brève qui justifie toutefois la forme même du poème.
‘Je ne suis pas seul parce que je suis abandonné. Je suis seul parce que je suis seul, amande entre les parois de sa closerie. 401“ La Grille ” est la formulation du topos de la condition humaine qu’est la solitude. Il met à vif ce lieu commun en partant d’une dénégation, celle d’une explication sociale de la solitude, pour la recentrer sur le sujet en l’enfermant dans une solitude ontologique. Or l’image qui représente la solitude ontologique est l’amande, image particulièrement heureuse : la solitude se définissant comme une relation exclusive à soi, l’amande reprend la circularité du sens. L’image est en fait double : c’est celle du cercle ou quasi-cercle dans la forme oblongue de l’amande, et c’est ensuite celle de la clôture, de la fermeture sur soi, comme une graine dans sa coque : nous sommes prisonniers de nous-mêmes, et le choix du terme “ closerie ”, désignant un petit clos ou une petite métairie, n’a certes rien à voir avec une construction réelle. Cependant son signifié exprime une fermeture, et son signifiant contient le mot clos dont il est issu et qui est l’autre sème principal de la figuration de la solitude. En effet, de l’apposition “ amande ” au complément de lieu “ closerie ”, on ne fait que passer du cercle à l’enfermement, par ricochet en quelque sorte, car le second n’est qu’une autre version du premier : l’enfermement est une clôture sur soi, où toute relation, réflexive, est circulaire.
Si l’amande et la closerie sont des images du sens, la solitude essentielle de l’homme, elles le sont aussi de la meilleure forme possible pour exprimer ce sens : cette vérité de l’enfermement en soi est elle-même enfermée dans l’expression circulaire d’une tautologie. Les sèmes des deux images caractérisent donc aussi bien la circularité et la clôture de la solitude que celle de sa formulation même. La réflexivité est la meilleure forme que puisse prendre l’expression d’un tel contenu. Il est en parfaite adéquation avec lui. Le cercle, sémantiquement figuré par les images, est la forme-sens de ce poème.
L’analogie, lorsqu’elle se développe, peut être structurante au niveau du poème tout entier, c’est-à-dire de son sens et de sa composition, d’autant mieux que le comparé et le comparant sont tous deux présents ou facilement identifiables. Mais dans le cas contraire, l’existence d’un ou plusieurs réseaux métaphoriques peut atteindre une telle densité que l’univers référentiel devient difficilement saisissable. On touche alors aux limites de l’analogie.
“ La Grille ”, La Parole en archipel, O. C., p. 386.