III. L’analogie hermétique ou l’image heuristique ?

Ceux qui cherchent ne découvrent que s’ils sont fiévreux ou éconduits. Nouveau monde aux doigts fragiles. 420

Quand la valeur référentielle des termes présents n’apparaît plus, et qu’ils ne peuvent plus être mis en rapport avec un comparé selon une convention plus ou moins respectée, l’analogie ne joue plus. L’image vaut alors pour elle-même, et se fait représentation pure. Elle figure une autre réalité, car elle n’est plus la réalité devenue inaccessible de l’analogie perdue. L’image, de figure établissant un rapport dans le poème, devient pleinement figuration puisqu’elle n’est plus considérée comme une mise en rapport, et c’est passée cette limite où l’analogie se perd que l’image prend toute sa dimension de figuration.

Si l’analogie permet souvent la description originale de la référence et du sens, elle en signe parfois la destruction quand l’univers métaphorique prend le pas sur l’univers de référence, et se développe notamment dans des formes narratives. Mais dans l’image régnante qui subsiste, ne peut-on pas voir l’occasion d’une reconstruction de la référence et du sens par une re-description de la réalité ? La destruction du sens par l’éloignement de la réalité menace certes le poème d’hermétisme, mais l’image peut constituer une représentation renouvelée de la réalité, et permettre l’accès au “ grand réel ”. Par un renversement total des perspectives qui n’est pas propre à la poésie de René Char, la voie hermétique de l’analogie se mue en voie heuristique de l’image. Quand l’analogie devient impossible, l’image seule reste possible.

De nombreux poèmes dans la poésie de René Char 421 convoquent la rose dans sa symbolique amoureuse, qu’elle soit métaphore de l’être, la femme aimée, ou du sentiment, l’amour. Si René Char s’approprie souvent le symbole pour le revivifier en contexte, il va aussi jusqu’à le rendre insaisissable. Nous tenterons de lire successivement deux diptyques, qui ont pour motif commun la rose, c’est-à-dire deux couples de poèmes qui ne se suivent pas dans les recueils mais qui semblent curieusement fonctionner ensemble, ou du moins se lancer des échos. Cette permanence même fait sens et appelle l’attention du lecteur sur le sens et la valeur de cette image.

Notes
420.

“ Verbe d’orages raisonneurs... ”, La Nuit talismanique qui brillait dans son cercle, O. C., p. 693.

421.

Citons “ La Rose violente ” (Le Marteau sans maître, O. C., p. 12), “ Sade, l’amour enfin sauvé de la boue du ciel, cet héritage suffira aux hommes contre la famine ” (Ibid., p. 40), “ Allégement ” (Fureur et mystère, O. C., p. 134), “ Léonides ” (Ibid., p. 139), “ Diane Cancel ” (Les Matinaux, O. C., p. 297) ou encore “ Permanent invisible ” (Le Nu perdu, O. C., p. 459).