C’est sans doute avec des poèmes dont la densité métaphorique est grande que l’on peut parler d’hermétisme dans la poésie de René Char, jugement qui a été étendu un peu trop vite à l’ensemble de son œuvre et à sa poétique même. Or nous voyons qu’il s’agit plutôt d’une tendance dans une œuvre, tendance qui n’est que le degré extrême d’une pratique de l’image où seul demeure l’univers du comparant. C’est ce qu’on pourrait appeler une métaphore in absentia, qui nous mène précisément aux limites de la métaphore : “ La reconstruction du designatum “réel” peut alors exiger un travail interprétatif tel, et en un sens si peu productif, que la métaphore tend à s’imposer comme objet de représentation : ce que l’on perçoit, c’est l’intrusion dans le texte d’un corps étranger opaque, qui donne à voir et non à comprendre. On sent qu’il y a là “quelque chose comme” une métaphore, mais en l’absence de toute relation analogique restituable, on est contraint de prendre le terme à la lettre. On peut alors parler de figure “in absentia”, mais à titre d’effet de lecture ; car à proprement parler la métaphore s’est absentée d’elle-même [...] ” 431 . La pente hermétique se résout en espace heuristique dès lors qu’on laisse de côté l’exigence d’une analogie pour laisser l’image déployer sa force de représentation. Dans le “ voir comme ” de Paul Ricoeur, c’est la vision qui l’emporte.
Cette pente hermétique de la métaphore, où le poème s’élabore sur le versant du comparant, n’est pas énigmatique pour elle-même. Dans une poétique de la découverte et de la communication comme l’est celle de René Char, elle se veut dévoilement d’une autre réalité qui, lorsqu’elle n’est plus celle de l’univers référentiel mais celle de l’univers métaphorique, est la plus sûre approche du “ grand réel ”, “ la plus proche convoitise et la plus proche appréhension ” de ce “ réel absolu ” persien, “ à cette limite extrême de complicité où le réel dans le poème semble s’informer lui-même ” 432 .
Michel Murat, op. cit., p. 54.
Saint-John Perse, “ Allocution au Banquet Nobel du 10 décembre 1960 ”, Oeuvres complètes, 1972, p. 444.