La réalité redécrite : le “faire voir” de l’image

Les représentations les plus inattendues imposent leur pertinence et, en se présentant comme si elles étaient constituées de traits typiques, elles prennent une valeur universelle qui a pour corollaire une véritable re-description du monde qu’elle donnent à voir. ““Placer sous les yeux” n’est pas alors une fonction accessoire de la métaphore, mais bien le propre de la figure. La même métaphore peut ainsi comporter le moment logique de la proportionnalité et le moment sensible de la figurabilité ” ⁴⁴¹ . Dans l’analogie, les deux moments existent mais, dans l’image pure, seul le second moment subsiste. Paul Ricoeur insiste sur le fait qu’Aristote relie ce “placer sous les yeux” avec la fonction de représentation dynamique de la métaphore, et c’est donc bien dans un passage de la Rhétorique ⁴⁴² que s’articulent déjà la vision et la création d’un monde, qu’est formulée “ la puissance de détection ontologique de la poésie ” ⁴⁴³ . Les termes de “ quasi-réalité ”, de “ quasi-observation ” ou “ quasi-expérience ” que Paul Ricoeur emploie pour évoquer la représentation métaphorique en poésie soulignent la prétention de cette dernière à déployer un monde : “ [...] la métaphore ne se borne pas à suspendre la réalité naturelle, mais [...] en ouvrant le sens du côté de l’imaginaire, elle l’ouvre aussi du côté d’une dimension de réalité qui ne coïncide pas avec ce que le langage ordinaire vise sous le nom de réalité naturelle ” ⁴⁴⁴ . Avec l’image, “ l’enjeu est une nouvelle description de l’univers des représentations ” ⁴⁴⁵ .

Pour Paul Ricoeur, la mimesis n’est pas une reproduction mais bien une production, elle ne se fonde par sur la réalité comme référence première mais libère “ un pouvoir de référence de second degré ”, “ une autre sorte de référence à d’autres dimensions de la réalité ” ⁴⁴⁶ . L’image reflète bien un possible de la réalité : “ N’est-ce pas la fonction de la poésie de susciter un autre monde, — un monde autre qui corresponde à des possibilités autres d’exister, à des possibilités qui soient nos possibles les plus propres ? ” ⁴⁴⁷ Le lecteur n’a plus à chercher l’analogie mais à laisser l’image être.