IV. “ Jeanne qu’on brûla verte ” ou la spécificité de l’image charienne

Elle est indicible la sensation de cette profondeur qui se volatilise en se concrétisant. 448

Dans une poétique de l’évocation qui dépasse l’œuvre de René Char, l’image charienne conserve une spécificité qui réside dans trois caractéristiques plus ou moins constantes : l’image est émotionnelle, l’image s’enracine dans la réalité, l’image se construit progressivement au cours du poème. Ces traits apparaissent nettement dans “ Jeanne qu’on brûla verte ” :

‘La sainteté proprement dite de Jeanne d’Arc ? N’étant pas théologien ni croyant, je passe à côté. Mais j’aurais bataillé avec cette jeune fille, près d’elle, pour elle, car, en son temps, son action insurgée et mystique était totalement justifiée. Je songe parfois à son physique. (Les témoignages du procès de réhabilitation la présentent sensiblement différente de la description que j’en donne.) Taille en rectangle vertical comme une planche de noyer. Les bras longs et vigoureux. Des mains romanes tardives. Pas de fesses. Elles se sont cantonnées dès la première décision de guerroyer. Le visage était le contraire d’ingrat. Un ascendant émotionnel extraordinaire. Un vivant mystère humanisé. Pas de seins. La poitrine les a vaincus. Deux bouts durs seulement. Le ventre haut et plat. Un dos comme un tronc de pommier, lisse et bien dessiné, plus nerveux que musclé, mais dur comme la corne d’un bélier. Ses pieds ! Après avoir flâné au pas d’un troupeau bien nourri, nous les regardons s’élever soudain, battre des talons les flancs de chevaux de combat, bousculer l’ennemi, tracer l’emplacement nomade du bivouac, enfin souffrir de tous les maux dont souffre l’âme mise au cachot puis au supplice.

Voici ce que ça donne en traits de terre : “ Verte terre de Lorraine. — Terre obstinée des batailles et des sièges. — Terre sacrée de Reims. — Terre fade, épouvantable du cachot. — Terre des immondes. — Terre vue en bas sous le bois du bûcher. — Terre flammée. — Terre peut-être toute bleue dans le regard horrifié. — Cendres. ”
1956. 449

Le poème “ Jeanne qu’on brûla verte ” n’appartient pas aux recueils retenus : édité en petit format par Pierre-André Benoit avec des dessins de Georges Braque, puis intégré à la Recherche de la base et du sommet, sa date de composition le situe toutefois dans les années de composition de La Parole en archipel, et il nous paraît caractéristique du travail poétique charien, celui de l’effacement de la réalité dans sa valeur référentielle et de sa poétisation : le référent disparaît dans sa mise en poème qui en révèle la vérité. Ce processus, explicite comme dans “ Effacement du peuplier ” 450 , est encore plus net.

Notes
448.

“ Feuillets d’Hypnos n° 189 ”, Fureur et mystère, O. C., p. 220.

449.

“ Jeanne qu’on brûla verte ”, Recherche de la base et du sommet, O. C., p. 666.

450.

“ Effacement du peuplier ”, Le Nu perdu, O. C., p. 423.