A. L’émotion

1. L’effacement de l’histoire

Le début du poème, jusqu’à la septième ligne, évacue la dimension historique de la personne de Jeanne d’Arc. L’attaque interrogative résume l’image traditionnelle de l’héroïne, non pas pour la mettre en doute ou la nier, mais pour l’ignorer, et la biographie est rejetée au profit de l’empathie dès la troisième phrase. De la référence n’est conservé que ce qui symbolise Jeanne d’Arc, et ce qui la symbolise pour René Char, même si l’image conventionnelle et l’image personnelle se superposent partiellement : de l’héroïne, Char ne retient d’ailleurs, dans le titre, que le prénom et le châtiment. Ce titre résume assez bien la démarche du poète. D’une part, si la tradition retient plutôt le nom tout entier, Jeanne d’Arc, Char préfère le prénom seul, accentuant par cette économie un rapprochement sensible avec la jeune fille : la suppression crée une proximité affective. D’autre part, il revivifie le syntagme verbal brûler vif/vive, qu’on emploie traditionnellement au sujet de Jeanne d’Arc, pour substituer à l’adjectif vif un autre terme, l’adjectif de couleur “ verte ”, qui partage la même consonne initiale et le même nombre de syllabes avec vif/vive. La substitution appelle l’attention sur le nouvel adjectif et pose l’énigme de la couleur verte.

De l’histoire de la jeune fille, il ne garde que son action, non sous l’angle événementiel, mais sous celui de l’impression qu’elle produit, sous l’angle de ses qualités et du moteur qui la font agir, à savoir l’insurrection et le mysticisme. C’est bien l’insurrection mystique qu’il retient et sur laquelle il va s’appuyer pour la représenter. Qu’il s’agisse donc de son portrait physique ou de sa vie, c’est sous cet angle-là qu’il les considère, en dehors de ce que la personne de Jeanne d’Arc fut du point de vue religieux et judiciaire, les deux domaines où la tradition la cantonne.

L’effacement de la réalité est d’ordre émotionnel, et il détermine à la fois ce que le poète retient et ce qu’il transforme. L’image qui se construit dans le poème s’établit ainsi à partir d’un donné historique, et les comparants sont puisés dans l’univers même de l’héroïne.