C. La progression

1. Une déréalisation par étapes

“ Jeanne qu’on brûla verte ” présente l’avantage de montrer les différentes étapes du processus d’abstraction réalisé par l’image, de la réalité au réel qui en est la transmutation. Avec le curieux portrait du premier paragraphe, le poème procède à une première déréalisation : il développe une potentialité référentielle car c’est bien à partir d’éléments réels que le poème effectue un premier décalage. La personne historique subit une transformation par l’imaginaire, mais ce premier glissement s’opère dans la réalité, au niveau humain : il est toujours question d’une femme, et le déplacement du réel historique au réel poétique est celui de la personne au personnage.

Un second paragraphe opère un autre mouvement de déréalisation : ce n’est plus le physique de Jeanne d’Arc mais sa vie même qui est stylisée. On passe alors d’un référent humain à un référent matériel, la terre. Mais cette terre reste liée à l’héroïne, et la représentation correspond à un second décalage : la terre est le point de vue par lequel est restituée l’histoire de Jeanne d’Arc.

Le poème représente bien son histoire, et si le premier paragraphe semble consacré au portrait de l’héroïne, tandis que le second en serait la stylisation, il n’y a rien de statique dans cette évocation : les deux paragraphes ne sont pas deux portraits, l’un physique, l’autre pictural, d’un même sujet. Ils s’enchaînent dans une véritable dynamique d’abstraction, en parallèle avec la dynamique même de la vie de Jeanne d’Arc.