2. La narrativisation de la représentation

La première partie seulement du premier paragraphe donne une description statique. Ce sont les pieds qui constituent une transition entre le portrait et le récit car il sont le symbole de l’action de Jeanne d’Arc. Les pieds déclenchent l’action et résument la vie de l’insurgée : “ Ses pieds ! Après avoir flâné au pas d’un troupeau bien nourri, nous les regardons s’élever soudain, battre des talons les flancs de chevaux de combat, bousculer l’ennemi, tracer l’emplacement nomade du bivouac, enfin souffrir de tous les maux dont souffre l’âme mise au cachot puis au supplice ”. Bergère, cavalier, soldat, prisonnière et martyr : le récit d’une vie est vu sous l’angle des pieds. Cet élément physique, par nature dynamique, transforme le portrait en récit, remplace l’immobilité d’une description par un enchaînement de procès. L’espace, qui était celui du corps, intègre la dimension du temps et inscrit donc ce corps dans une chronologie. En passant d’une évocation en synchronie à une perspective diachronique, le portrait s’est narrativisé. Il n’y pas de spatialisation du temps, selon un procédé fréquent, mais bien l’inverse : c’est un élément spatial qui se “temporalise”. La linéarité du poème correspond à une évolution chronologique dès le premier paragraphe, et cet espace-temps va fonder le déroulement du second.

La terre est l’autre élément spatial qui prend le relais du corps. Avec ce changement, l’espace n’est plus directement lié au physique du personnage. Il lui est totalement extérieur. La terre est toutefois présente dans tous les moments de sa vie : repère spatial par excellence, elle prend une valeur temporelle. Elle date les événements de la vie de Jeanne d’Arc selon un ordre chronologique : l’époque de la Lorraine qui est celle de l’enfance et de la jeunesse, l’époque des batailles, l’époque du sacre du roi à Reims, l’époque de la prison, l’époque du procès, l’époque du martyre, et enfin l’époque de la vision de la mort, supposée par un “ peut-être ” significatif. Enchaînés, ces repères spatiaux fonctionnent comme des dates forment une durée, celle de la vie de Jeanne d’Arc. Mais ils en sont bien une autre formulation narrative, décalée par rapport aux faits historiques connus.