2. La métaphore au service de la métonymie

a/ Une contiguïté sensorielle

Plus intéressant qu’une définition imprécise du mécanisme métonymique qui ouvre la porte à un emploi très étendu dans l’œuvre de Proust, c’est l’effet même de cette fausse figure qui prend tout son sens dans l’étude de Gérard Genette et qui fait l’originalité de la réminiscence proustienne. Au-delà d’une analogie de sensations, le goût chez Proust, la mémoire fait surgir tout un univers par un véritable balayage sensoriel. L’intérêt de la réminiscence ne réside pas dans l’analogie qui la fonde, mais dans une “ réaction en chaîne ” 472 par laquelle la sensation rappelée en appelle une autre et ainsi de suite. C’est tout un “ contexte d’expérience ” 473 qui réapparaît dans la contiguïté des sensations. L’analogie n’est que le déclencheur de l’évocation d’un monde, l’“ l’immense édifice du souvenir ”, qui se développe en vertu de relations de contiguïté,. La madeleine en rappelle une autre, mais c’est moins le rapport analogique qui importe que l’effet produit par cette autre madeleine, que le développement de l’univers qu’elle fait resurgir. L’analogie sensorielle qui rapproche deux espaces-temps compte moins que la contiguïté sensorielle qui permet de balayer l’espace-temps du passé. Gérard Genette reconnaît qu’il fait un emploi abusif du terme de métonymie mais s’en justifie par l’emploi abusif que fait Proust lui-même du terme de métaphore. Ce terme reflète en effet plutôt une logique sensorielle, une entière présence au monde dont les différents segments ne sont pas cloisonnés mais s’interpénètrent. Les sensations se mêlent et circulent.

La résurgence du passé dans “ Le Bruit de l’allumette ” est alors effectivement très proustienne. Le titre est d’ailleurs explicite. C’est une sensation, de nature auditive, qui déclenche l’analogie avec une sensation passée similaire, et rend possible le surgissement de l’enfance. Mais dire que la métaphore emprunte son comparant à l’univers de référence, c’est privilégier le mécanisme métaphorique, c’est faire de l’analogie la raison d’être du poème alors qu’elle n’est que le moyen, certes très visible, de la convocation d’un passé dont le locuteur cherche le fondement car il est aussi le fondement de sa personnalité.

Notes
472.

Ibid., p. 56.

473.

Ibid., p. 57.