Si on peut parler à juste titre de métonymie dans “ Le Bruit de l’allumette ”, elle réside dans l’extraction du principe fondateur de la réalité évoquée. La métonymie n’est pas dans la poésie de René Char un principe de progression en surface mais un principe d’abstraction, dans la profondeur de la réalité. Elle permet de faire émerger l’essentiel, par un mouvement à la fois de focalisation et de conceptualisation. “ L’absurde ” et “ l’amour ” sont, dans “ Le Bruit de l’allumette ”, les deux principes fondateurs de la scène de l’enfance, dont la rencontre détermine précisément cet “ ordre fragile ” : à la valeur euphorique du foyer s’oppose la valeur dysphorique de la souffrance que l’enfant ne comprend pas. L’opposition de “ l’embrasement ” et de l’“ âcre fumée ” d’un feu bien réel prend ainsi une résonance métaphorique : elle saisit l’essence de la scène par le détour des effets de sens d’une représentation qui prépare l’analogie principale du poème, celle qui s’établit entre la scène de l’enfance passée et la scène de l’intériorité. Mais la métonymie précède, et lorsqu’elle est processus d’abstraction, elle formule l’essence directement. L’expression ne passe plus par le rapprochement de deux univers, même s’ils ont un rapport d’ordre référentiel, mais par un déplacement, au sein d'un seul et même univers, de manifestations concrètes aux principes qui les habitent et les activent. La métonymie permet l’élucidation de l’essence du monde de l’enfance, comme “ alliance de l’absurde et de l’amour ”, paradoxe fondateur puisque cette scène a nourri la personnalité de l’enfant 474 . Le bois alimente le feu 475 , comme les événements de l’enfance façonnent une personnalité. L’opposition de ces événements, extrême, est dynamique : “ l’absurde ” et “ l’amour ” sont en décalage, comme “ l’embrasement ” et “ une âcre fumée ”. La métaphore et la métonymie se rencontrent non seulement dans la densité poétique des énoncés mais également dans les effets quelles produisent : elles suscitent un mouvement de focalisation sur des éléments de la réalité, et elles permettent une circulation du concret et de l’abstrait sans que l’un ou l’autre ne puisse l’emporter. Leur mécanisme demeure toutefois très différent. Dans “ le bois de mon cœur ”, “ bois ” est un élément métaphorique qui symbolise tout l’univers de l’enfance avec ses événements contraires, tandis que “ cœur ”, métonymique, renvoie à l’affectivité du sujet par l’organe qui en est le siège. L’image du bois prédomine en contexte et incite à privilégier le premier terme du syntagme “ le bois de mon cœur ”, mais il semble que le second soit plus directement lié au sens même du poème. L’intérêt est moins de passer de la scène du feu à celle du cœur par l’intermédiaire du bois selon une analogie évidente, que de passer, dans la scène de l’enfance, de “ l’embrasement ” et de l’“ âcre fumée ” à “ l’absurde ” et à “ l’amour ”.
Un texte, “ Frontispice ”, placé à l’ouverture du recueil La Nuit talismanique, évoque les “ natures contrastées ” des parents de l’enfant qui “ se heurtaient sur un point d’intersection qui s’enflammait ”. C’est exactement la même tension que celle qui est reflétée par “ Le Bruit de l’allumette ”, dans un contexte identique, celui du feu, puisque en dehors de “ s’enflammait ”, “ Frontispice ” ajoute qu’“ une forêt de chênes passa dans la cheminée ” (Voir Notes, O. C., p. 1258). Eric Marty rapproche, dans plusieurs textes, l’image du feu de l’origine de l’écriture (René Char, 1990, pp. 40-44), comme Danièle Leclair (Lecture de René Char. “ Aromates chasseurs ” et “ Chants de la Balandrane ”, 1988, pp. 64-66).
Une expression semblable au “ bois de mon cœur ” apparaît dans un “billet” à Francis Curel de 1948, “ le foyer de mon cœur ” : “ Les mois qui ont suivi la Libération, j’ai essayé de mettre de l’ordre dans ma manière de voir et d’éprouver qu’un peu de sang avait tâchée, à mon corps défendant, et je me suis efforcé de séparer les cendres du feu dans le foyer de mon cœur ” (“ Billets à Francis Curel ”, Recherche de la base et du sommet, O. C., p. 635). Le cœur est déjà partagé, flammes et cendres à la fois.