B. La métonymie comme figure

1. Une association syntagmatique

La figure identifiée par Gérard Genette repose sur une contiguïté référentielle entre le comparé et le comparant d’une image puisque le comparant qui fait surgir le rapport métaphorique appartient aussi à l’univers référentiel. Mais cette contiguïté est possible au sein de l’univers de référence lui-même, en dehors de tout rapport analogique, et c’est traditionnellement sur une coexistence d’éléments de la réalité que se fonde le processus métonymique qui effectue leur mise en discours. Une autre dérive est alors possible, celle qui décèle la métonymie dans la coexistence syntagmatique d’éléments contigus référentiellement. Mais la prudence terminologique est de rigueur et l’emploi du terme de “ métonymie ” est ici également abusif, emploi métaphorique dans un usage littéraire dont “ La Passante de Sceaux ” montre bien le danger :

‘Mèches, au dire du regard,
Désir simple de parole ;
Ah ! jongle, seigneurie du cou
Avec la souveraine bouche,
Avec le bûcher allumé
Au-dessous du front dominant.

J’aimerais savoir vous mentir
Comme le tison ment aux cendres,
Mèches, qui volez sans m’entendre
Sur le théâtre d’un instant. 476

“ La Passante de Sceaux ” est la vision morcelée d’un visage féminin, dont les différentes parties sont réunies par le passage d’une mèche de cheveux. Mais il n’y a aucune figure métonymique dans la contiguïté syntagmatique des éléments du visage, “ mèche ”, “ regard ”, “ cou ”, “ front ” et “ bouche ”. Ce poème fait l’éloge d’une partie du corps féminin, les cheveux, comme dans la tradition poétique ancienne du blason. L’élément du corps est apostrophé et le poème recourt à la figure syntaxique de l’anaphore lorsque le locuteur interpelle les “ mèches ” en soulignant les rapports qu’elles entretiennent avec les autres parties du visage : “ Avec la souveraine bouche/Avec le bûcher allumé ”. Le blason, centré sur les cheveux, les met en relation avec le cou, la bouche, le front et les yeux. Ces derniers sont présents avec le terme “ le regard ”, mais aussi à travers la métaphore du “ bûcher allumé ”, image énigmatique qu’une variante présentant le mot “ regards ” 477 nous permet de lire, ainsi que la position “ sous le front ”. La base métonymique du texte se développe en effet rapidement en métaphore : les mèches sont la “ seigneurie du cou ”. Mais pour ce qui est du rapprochement syntagmatique des éléments du visage, il n’y a là rien de métonymique. Marc Bonhomme met en garde contre cet emploi abusif de la métonymie qui vient de Roman Jakobson. Ce dernier néglige le moment de la substitution paradigmatique de la figure au profit de la continuité sémantico-référentielle : “ Ne faisant qu’un avec la contiguïté, la métonymie perd sa spécificité tropique, puisqu’elle cesse de reposer sur un transfert de dénomination. Ainsi, une simple juxtaposition référentielle de notions suffit à Jakobson pour parler du “ style métonymique ” d’Upensky, alors que la rhétorique traditionnelle ne verrait pas la moindre figure dans l’exemple qu’il analyse [...] A ce stade, la métonymie ne consiste plus en une substitution affectant les signifiés, mais en une simple co-présence de signifiants, ce qui représente un appauvrissement considérable de la métonymie traditionnelle, mais ce qui donne aussi à la figure une puissance exceptionnelle, étant donné que la seule contiguïté la déclenche” 478 . Nous retiendrons que la substitution syntagmatique reste nécessaire pour que l’on puisse parler de métonymie.

Notes
476.

“ La Passante de Sceaux ”, La Parole en archipel, O. C. p. 384.

477.

Voir Variantes, O. C. p. 1185 : “ Sous la neige de ses regards ”.

478.

Marc Bonhomme, op. cit., pp. 12-13.