2. Une substitution paradigmatique

L’évocation du visage de “ La Passante de Sceaux ” est mise en valeur par l’importance accordée à la chevelure, qui est l’élément physique choisi comme repère par rapport auquel les autres éléments du visage sont mentionnés. Mais la contiguïté référentielle transposée en contiguïté syntagmatique ne produit aucune métonymie car cette dernière ne repose pas sur un phénomène de cooccurrence mais sur une véritable substitution. Or le prédicat “ jongle ” ne s’applique pas à la passante mais bien à la chevelure, de même “ volez ”, si bien que les “ mèches ” ne remplacent pas la passante.

La première proposition de la seconde strophe laisse en revanche apparaître une véritable métonymie : mentir aux cheveux, personnifiés par le pronom, c’est mentir à cette femme. Les cheveux sont un emblème, le signe distinctif de cette passante : le détour, érotique, est précieux. C’est la chevelure qui seule fonctionne comme une métonymie de la femme. Le syntagme nominal du second vers, “ désir simple de parole ”, qui est en apposition à “ mèches ”, relève également de la métonymie, celle de l’effet pour la cause. Si le complément déterminatif de “ désir ”, le nom “ parole ”, justifie le caractérisant “ simple ”, il affaiblit la puissance du nom “ désir ”. Mais ce dernier se détache en début de vers où il peut résonner de façon autonome, d’autant mieux qu’il se teinte de l’érotisme symbolique de la chevelure. De la passante à sa chevelure puis au désir de rencontre qu’elle suscite, c’est la métonymie qui effectue le passage.

La métonymie est une figure qui joue sur l’interaction entre la signification et la référence, et non exclusivement sur l’une ou sur l’autre. Ce n’est pas, comme on le dit de la métaphore, une prédication impertinente, mais une “ dénotation oblique ” et la notion de contiguïté s’avère trop restrictive. Marc Bonhomme préfère fonder la métonymie sur des relations très diverses au sein d’“ ensembles sémantico-référentiels ” 479 organisés et assez stables dans une communauté linguistique. Les éléments ne sont pas seulement contigus dans le monde mais ils entretiennent différents types de relations en langue. Le déplacement métonymique ne repose ni uniquement sur la langue, ni exclusivement sur le monde, mais sur une catégorisation linguistique du monde.

Pour être légitime et enrichissante stylistiquement, la métonymie doit conserver sa spécificité. Son emploi très large, fondé sur toute contiguïté référentielle, entraîne le plus souvent une contiguïté au niveau discursif, du syntagme au texte tout entier, qui ne peut légitimement recevoir le nom de métonymie : il est dangereux de mélanger une contiguïté phénoménale, dans le monde, avec une contiguïté syntagmatique, de l’ordre du discours, l’extension du concept de métonymie menaçant la figure elle-même qui devient un concept linguistique “ fonctionnant à la limite dans le vide ” 480 .

Notes
479.

Ibid., p. 43.

480.

Ibid., p. 20.