2. La qualité : verticalité et essentialisation

La focalisation la plus singulière est celle qu’opère la métonymie : avec “ votre sein nu ” commence le processus de métonymisation, qui fait des seins de deux femmes proches, mais bien individualisées, un singulier collectif. Le poème lui-même poursuit le mouvement d’abstraction, entendue comme une véritable dynamique, dans le passage de “ votre sein ”, dont le singulier constitue un premier ferment de déréalisation, à “ votre merveille ”, qui est une reprise de type anaphorique, mais infidèle en raison de la variation lexicale. Et c’est précisément cette variation de désignation, dans la chaîne de référence, qui opère le passage d’une entité concrète à sa substance : c’est la qualité qui est donnée, soulignée par la présence d’une syllepse, la merveille étant, dans une acception vieillie, ce qui est surnaturel, extraordinaire et, dans une acception moderne, ce qui cause de l’admiration. Par métonymie, la merveille est d’ailleurs devenue la chose elle-même. Le passage au surréel s’est effectué : le nom de la poésie, “ la Minutieuse ”, est redécouvert et l’eau, qui réapparaît, n’est plus une inondation angoissante et conquérante, mais une eau calme et apaisante dont la qualité passe au premier plan dans le syntagme qui la désigne, “ la beauté des eaux profondes ”. L’expression reste concrète, mais un degré est franchi dans la déréalisation perceptible au cours du développement du poème, par le passage successif au singulier et à la qualité, de “ vous ” à “ votre sein ” puis à “ votre merveille ”, des “ eaux ” de l’“ inondation ” à leur “ beauté ”.

A partir d’un détail du réel, que ce soit un être, un objet, ou encore une action, la poésie de René Char en extrait la substance, et c’est principalement à travers le processus de la métonymie d’abstraction que le langage fait passer du monde sensible à un univers d’essences.