b/ Déterminant possessif + nom

Dans une structure qui réalise totalement la substitution métonymique, le nom est souvent actualisé par un déterminant possessif. Ce déterminant est le signe préservé d’une relation avec l’entité concernée par la propriété désormais thématisée. L’abstraction est en cela dite relative.

‘Hors de nous comme au-delà de nous, tout n’est que mise en demeure et croissance menacée. C’est notre désespoir insurgé, intensément vécu, qui le constate, notre lucidité, notre besoin d’amour. Et tant de conscience finit par tapisser l’éphémère. Chère roulotte ! 535

Le siège de “ notre désespoir ”, “ notre lucidité ” et “ notre besoin d’amour ” est le locuteur, ce qui apparaît clairement dans l’incompatibilité sémantique entre le verbe “ constate ” et ces noms thématisés, en position de sujet grammatical. Le déterminant possessif est donc la seule trace de l’identité du support de la qualité. Si on parle d’ailleurs pour ce type d’expression de métonymie d’abstraction relative, c’est précisément parce que l’abstraction n’est pas totale et que subsiste syntaxiquement une trace de l’entité du monde concernée. Le groupe nominal fonctionne alors comme l’expression condensée d’un développement de la prédication qui relierait la personne en relation avec le nom et le référent de ce nom lui-même.

D’ailleurs, lorsque le nom est lui-même le résultat d’une dérivation, sa nature prédicative reste très forte.

Ton partir est un secret. Ne le divulgue pas. Durant que roule le gai tonneau du vent, chante-le. 536

Le déverbal “ partir ” n’est pas lexicalisé. Sa nominalisation apparaît d’autant mieux qu’il est repris par un pronom personnel. Le verbe étant la partie du discours généralement prédicative, ce changement de catégorie grammaticale est particulièrement représentatif du passage d’une forme prédicative par excellence, le verbe, à celle qui a des affinités avec la position de thème, le nom 537 .

Notes
535.

“ Aromates chasseurs ”, Aromates chasseurs, O. C., p. 513.

536.

“ Souvent Isabelle d’Egypte ”, Chants de la Balandrane, O. C., p. 551.

537.

“ [...] Je n’entends plus, montant de la fraîcheur de mes souterrains le gémir du plaisir, murmure de la femme entrouverte. [...] ” (“ Feuillets d’Hypnos n°  ”, Fureur et mystère, O. C., p. ). C’est René Char qui souligne, et c’est un bel exemple de métonymie d’abstraction construite sur un déverbal qui permet de thématiser l’essentiel de la scène érotique. On trouve également ce type de formulation dans “ Les Mains d’Elsa ” d’Aragon (Le Fou d’Elsa, p. 69) :

[Sauras-tu jamais]
Ce que dit ainsi le profond langage
Ce parler muet des sens animaux
Sans bouche et sans yeux miroir sans image
Ce frémir d’aimer qui n’a pas de mots