Malgré son origine prédicative, la qualité tend à prendre la place du thème.
La qualité d’une substance est mise en avant, au sens spatial du terme, par son antéposition par rapport au support ou par la totale disparition de ce dernier. Dans “ La Fauvette des roseaux ” apparaissent deux métonymies de la partie pour le tout, “ son aile ” et “ l’ongle de la fugitive ”, qui représentent deux stades différents de thématisation. Avec “ l’ongle de la fugitive ”, l’antéposition est réalisée mais le support subsiste. En revanche, avec “ son aile ”, le support a syntaxiquement disparu, même s’il reste identifiable dans l’emploi du possessif. Mais la métonymie ne réalise pas dans ces deux exemples une abstraction. Cette dernière est en revanche très nette si l’on compare la fin de “ La Minutieuse ” avec la fin de “ Front de la rose ”.
‘La beauté des eaux profondes nous endormit. 550constitue en effet une étape dans la thématisation que la présence du seul terme “ la beauté ” achève :
‘[...]Si la hiérarchie sémantique à l’intérieur du syntagme fait dépendre le premier terme du second et permet de garder la trace d’une relation prédicative, en revanche la hiérarchie du point de vue syntaxique s’inverse : c’est le second terme qui dépend du premier, dépendance qui souligne l’originalité de la thématisation réalisée. Au niveau du syntagme, il y a une inversion de l’ordre logique qui veut que le thème, ce dont on parle, précède le prédicat, ce qu’on dit du thème, et cette inversion se manifeste syntaxiquement : le prédicat est attiré dans le groupe nominal qui constitue le thème, et il prend au sein de ce groupe la première position syntaxique, celle de déterminé. On a donc une double mise en relief du prédicat dans le syntagme : par une inversion logique qui opère sa thématisation, et par une prédominance syntaxique. Cette double opération est parfois très nette :
‘Dehors le jour indolore se traîne, que les verges des saules renoncent à fustiger. Plus haut, il y a la mesure de la futaie que l’aboie des chiens et le cri des chasseurs déchirent. 552Dans les syntagmes “ l’aboie des chiens ” et “ le cri des chasseurs ”, les deux noms en première position sont des déverbaux. En effet, par une dérivation régressive, les deux prédicats, aboyer et crier, sont devenus des thèmes. Si, sémantiquement, ils sont les prédicats de leur expansion, syntaxiquement ils sont bien en position de déterminés sous la forme nominale et, qui plus est dans cette phrase, en position de sujet grammatical de la relative. Sans passer par une transformation emphatique de la phrase, s’opère, pourrait-on dire discrètement, une évolution logique qui passe par une évolution morphologique : cette transformation est essentielle car elle est véritablement interne : elle travaille la langue elle-même en s’inscrivant dans la morphologie. Assurément discrète au niveau superficiel, elle bouleverse toutefois profondément la hiérarchie syntaxique des constituants. Elle est enfin essentielle car elle permet de constituer des degrés syntaxiques dans le processus métonymique.
“ La Minutieuse ”, La Parole en archipel, O. C., p. 355.
“ Front de la rose ”, La Parole en archipel, O. C., p. 364.
“ Lettera amorosa ”, La Parole en archipel, O. C., p. 344.