Il y a dans la métonymie d’abstraction un mouvement de particularisation évident. Le nouveau désignateur d’un référent est le nom de l’une de ses qualités seulement qui est ainsi mise en relief.
La particularisation qui est à l’oeuvre dans la métonymie d’abstraction est liée à une sélection de propriétés perceptibles dans le monde, dans l’expérience effective qu’un sujet peut avoir de la réalité. “ L’Abri rudoyé ” est nettement ancré dans un espace-temps :
‘De tout temps j’ai aimé sur un chemin de terre la proximité d’un filet d’eau tombé du ciel qui vient et va se chassant seul et la tendre gaucherie de l’herbe médiane qu’une charge de pierres arrête comme un revers obscur met fin à la pensée. 559Si l’indicateur “ de tout temps ” traduit la durée la plus étendue qui soit, ce qui va d’ailleurs renforcer la valeur des qualités mentionnées, en revanche “ sur un chemin de terre ” constitue un indice de lieu très précis qui déclenche l’évocation d’un univers naturel. La concrétisation repose ainsi sur l’attention portée à des détails qui n’ont rien de métonymiques, mais qui sont des signes de la réalité. Ils sont de plus évoqués dans leur mouvement et leur relation avec le monde : l’eau est saisie dans sa relation d’origine avec le ciel dans l’expression “ un filet d’eau tombé du ciel qui vient et va se chassant seul ” ; “ l’herbe médiane qu’une charge de pierres arrête ” représente l’herbe dans sa contiguïté référentielle avec les pierres. Les verbes, sécants, présentent l’action dans son déroulement, ce qui renforce l’immédiateté de la scène. La concrétisation dépend aussi de l’emploi d’articles singuliers qui concourent à l’impression de réalité en désignant un référent particulier, malgré l’extension temporelle.
La concrétisation tient ainsi aux éléments référentiels et à l’incarnation que réalise la détermination en privilégiant une extensité individualisante. Mais la particularisation dont il est question ne correspond pas à une simple concrétisation. Si l’essence des choses est nécessairement perçue dans une expérience du monde, elle a un rapport particulier avec la réalité phénoménale : elle n’en est pas la reflet mais plutôt l’effet.
“ L’Abri rudoyé ”, Le Nu perdu, O. C., p. 459.