Parler d’un univers concret ne reflète pas le mouvement qui est à l’œuvre dans la poétique charienne. Il ne s’agit pas de décrire le monde mais d’en dévoiler les principes profonds. Ce n’est pas le filet d’eau et l’herbe qui sont représentés : c’est l’une de leurs propriétés qui est mise en relief, la “ proximité ” du premier et la “ gaucherie ” de la seconde.
La métonymie ne représente pas un objet mais une qualité de l’objet qui a été sélectionnée. Elle n’a pas forcément un contenu conceptuel, car elle est avant tout une façon d’être de la chose qui permet de l’identifier : la proximité est plus une propriété extérieure qu’un contenu intérieur. On voit bien d’ailleurs avec ce terme que la qualité est un rapport à celui qui perçoit : la proximité est une distance qui se juge par rapport à un repère, ici le locuteur. Il y a donc bien focalisation : la qualité est choisie. L’idée de focalisation se justifie donc à la fois par le contenu de la sélection opérée et par le regard qui l’opère. Cette subjectivité est d’autant plus intéressante qu’elle témoigne aussi du rapport personnel à la qualité. C’est bien par l’émotion que la matière est perçue, et le verbe aimer de ce poème est la formulation rare de cette perception personnelle et passionnelle : “ De tout temps j’ai aimé [...] la proximité d’un filet d’eau [...] ”. La métonymie d’abstraction opère donc une focalisation car la qualité qu’elle sélectionne est considérée comme la plus pertinente sur le plan émotionnel. Mais l’envers de la focalisation est la mise à l’écart d’autres qualités qui n’ont pas le pouvoir de représenter le référent. Le mouvement de la figure est un mouvement de particularisation 560 .
Lorsqu’on désigne les hommes par le syntagme “ les mortels ”, “ le choix de ce prédicat empêche les autres qualités humaines d’apparaître ; la personne est alors, par un mouvement de restriction qui l’amoindrit, vue uniquement comme mortelle et la synecdoque serait ainsi particularisante ” (Danielle Bouverot, op. cit., p. 334).