a/ Une conceptualisation ?

La métonymie peut prendre une valeur générale dans la mesure où son référent est le meilleur représentant de la qualité. Mais son lien nécessaire avec la réalité phénoménale la laisse le plus souvent en deçà d’une expression conceptuelle.

‘J’ai reconnu dans un rocher la mort fuguée et mensurable, le lit ouvert de ses petits comparses sous la retraite d’un figuier. Nul signe de tailleur : chaque matin de la terre ouvrait ses ailes au bas des marches de la nuit.
Sans redite, allégé de la peur des hommes, je creuse dans l’air ma tombe et mon retour. 561

Un terme comme “ la mort ” est assez rare par son degré d’abstraction qui, dans une situation très concrète, celle d’un rocher et d’un figuier, pourrait faire figure d’allégorie. Mais on comprend bien avec “ Devancier ” pourquoi l’allégorie ne correspond pas à la poétique charienne. Avec le groupe juxtaposé à “ la mort ”, le poème suscite une autre vision, celle de l’objet qu’est le lit. Le concept est ainsi mis en tension avec l’objet à travers lequel il peut se lire : il n’est pas accessible en lui-même, mais nécessairement à travers un segment de réalité. L’intelligible n’a d’existence que dans le sensible. La conceptualisation, si elle peut être plus ou moins poussée, est toujours inachevée car l’idée n’est pas première mais donnée par la réalité qui lui reste liée. La poésie de René Char n’est pas une poésie d’idées, mais une poésie de la relation à l’idée, relation très précise puisque c’est celle de son émergence. Le fonctionnement entre le sensible et l’intelligible est ainsi de type symbolique, mais leur rapport s’effectue dans un ordre bien précis : c’est le sensible qui mène à l’intelligible. La qualité qui désigne une entité de façon typique n’est donc pas nécessairement un concept. Le mouvement de généralisation ne correspond pas strictement à une conceptualisation.

Notes
561.

“ Devancier ”, Le Nu perdu, O. C., p. 426.