Si la métaphore est considérée comme désignation déviante, la métonymie est quant à elle une désignation oblique. Elles ont toutes les deux un fort pouvoir prédicatif, mais la métonymie d’abstraction est un type d’expression privilégiée de l’essence car elle la formule directement.
Par sa dimension ontologique, la poésie de René Char a des affinités souvent soulignées avec le discours philosophique. Mais c’est au cœur de la langue que s’élabore cette ontologie, c’est dans un emploi particulier des mots que se crée une vision de l’être. René Char n’a pas de théorie philosophique au sens d’un message, d’un contenu transmis par le langage qui serait considéré comme un médium. C’est véritablement dans le langage poétique que s’inscrit cette dimension ontologique, notamment par l’emploi de la métonymie d’abstraction. On voit là — et ce n’est pas nouveau — toute la différence qui peut séparer un langage qui sert à, celui de la philosophie, et un langage qui est, celui de la poésie.
Contrairement au discours philosophique traditionnel, la poésie de René Char maintient une tension entre le réel perceptible et son essence, il y a passage de l’un à l’autre, phénomène dans lequel nous avons voulu voir, selon les mots du poète lui-même, une spiritualisation de la matière. La métonymie d’abstraction est, dans son processus même, partagée entre une tendance particularisante et une tendance généralisante. On pourrait dire que la poésie de Char marie le pouvoir de symbolisation du réel, qui fait signe dans ses détails, avec une exigence de perception des essences. Le sensible a du sens 565 , il donne des signes qui disent une essence qui le dépasse. La poésie serait bien “ l’angle où s’épousent intelligence et sensation ” 566 .
Le couple constitué par ces deux notions a été étudié par Nicolas Castin dans Sens et sensible en poésie moderne et contemporaine (1998). L’auteur montre comment la poésie, à partir d’une tradition littéraire et philosophique qui opposait “ l’intelligible et l’affectif ” a établi une “ communication entre le monde perçu et le monde conçu ” (p. 6 passim).
“ Le Dard dans la fleur ”, O. C., p. 682.