Le premier paragraphe a une dimension nettement généralisante, celle de l’expression d’une fatalité. Or les verbes périr et avoir lieu sont perfectifs. Associé au tiroir verbal du présent de l’indicatif, cet aspect sémantique prend une valeur ponctuelle. C’est donc l’indicateur temporel “ à tout moment ” qui infléchit la valeur singulative des procès, et lui donne une dimension discontinue, itérative, qui fait figure de vérité. La portée généralisante de l’énoncé est renforcée par un thème abstrait, “ l’infini humain ”, qui inscrit parfaitement une abstraction métonymique dans la réalité en la manifestant concrètement. L’énonciation s’universalise ensuite clairement dans l’emploi du relatif nominal “ qui ”, sans antécédent déterminé.
Nous avons toutefois effectué un véritable saut d’une valeur itérative de l’énoncé à sa dimension généralisante. Si la passerelle semble naturelle, elle nécessite quelques explications. Dans un énoncé comme “l’homme périt”, le procès peut exprimer soit une situation particulière actuelle, soit une loi qui concerne tout être humain. Avec un verbe imperfectif, les effets de sens sont encore plus nombreux : dans “l’homme marche”, il peut être question d’un événement actuel, au cours duquel le procès est effectivement réalisé au moment de l’énonciation, ou d’un énoncé seulement vrai qui n’est que virtuel à ce moment là. Dans ce dernier cas, cette vérité peut correspondre à une fréquence, une habitude sportive ou un loisir, ou à une loi concernant l’espèce humaine. On voit donc que l’étendue de la vérité est variable, aussi bien selon son support que dans le temps, et la difficulté réside dans la distinction entre les énoncés à valeurs répétitive et les énoncés de vérité générale. Le problème consiste à décider si la valeur générale d’un énoncé au présent est équivalente à une valeur éternelle. Dans la théorie guillaumienne des chronotypes, le présent peut s’étendre à l’infini vers le passé et symétriquement vers le futur jusqu’à englober tous les temps dans une éternité. De la répétition à l’habitude et à la loi, il n’y a qu’un pas, et c’est la répétition dans le temps qui fonde une valeur générale. En revanche, certains grammairiens insistent sur le fait que le présent de vérité situe les faits hors du temps. Le présent à valeur générale est un présent non temporel car c’est un présent de vérité, non d’éternité.
La valeur de vérité du présent de l’indicatif est ainsi souvent possible par défaut de certaines instructions temporelles particulières. Si la présence par ailleurs d’instructions de type généralisant détermine la lecture d’une vérité, elles ne sont toutefois pas indispensables, ce qui montre bien que l’interprétation généralisante est hors du temps : “ Quand aucun élément du contexte ou de la situation énonciative ne situe le contenu de l’énoncé dans le temps, et que ce contenu a une portée générale ou abstraite, l’énoncé prend alors la valeur dite gnomique d’une vérité générale. Mais cela est manifestement dû au contenu même de l’énoncé et non à son verbe au présent [...] ” 579 .
La validité n’est donc pas attribuée en vertu d’une vérification dans le temps le plus durable, mais en rapport avec la vérité de l’énoncé. Nous conservons les termes généralisant/généralisation dans la mesure où ils reflètent assez bien l’idée de vérité plus ou moins éternelle : il n’est pas important que le procès soit éternel mais qu’il soit vrai, ou juste, à savoir révélateur de l’être d’une entité, si ce n’est dans toutes les époques, du moins dans une époque précise qui peut être brève. Ce présent, lorsqu’il apparaît dans des définitions, des lois naturelles, des proverbes et des maximes, est dit générique. Certains énoncés de Char sont pleinement de ce type, mais ils demeurent rares 580 . Sont plus fréquents des énoncés proprement généralisants car ce qualificatif reflète pleinement la dimension dynamique d’une poétique : la notion de déréalisation temporelle, à l’image de l’abstraction souvent évoquée, doit évidemment être comprise dans son sens de processus, et non comme un résultat.
Christian Touratier, Le Système verbal français, 1996, p. 94.
Des énoncés comme “ Fine pluie mouche l’escargot ” et “ Lit le matin affermit tes desseins. Lit le soir cajole ton espoir, s’il fuit ”, tous deux empruntés à “ Souvent Isabelle d’Egypte ” (Chants de la Balandrane, O. C., p. 551) se rattachent à ce type gnomique.