II. L’en-avant

Poésie, la vie future à l’intérieur de l’homme requalifié 604

“ La poésie ne rythmera plus l’action, elle sera en avant ”. Dans ses “ Réponses interrogatives à une question de Martin Heidegger ” 605 , René Char explicite cette phrase de Rimbaud, “ littéralement et dans tous les sens ”. La poésie précède l’action et la suscite, elle est “ pilote ”, “ conductrice ”, elle est l’ “ éclair ”, c’est-à-dire qu’elle est à la fois en marche et en avant : elle est donc l’éclaireur. Le poète est celui qui “précède”, comme le dit René Char dans “ Floraison successive ” 606 et dans “ Buveuse ” 607 , et ce verbe est bien à considérer dans son sens étymologique de “ marcher devant ” 608 . La poésie se fait incitation, sollicitation à mieux voir le réel. Les “ Réponses ” à Martin Heidegger coïncident en outre avec la conception existentielle du temps mise en évidence par ce philosophe. Le temps authentique ne recouvre pas le temps actuel qui est le temps chronologique, celui des horloges et des calendriers. Il est le temps de la tension vers l’avenir. Ce dernier correspond à la temporalité de cet être pour-la-mort qu’est l’homme, mais de façon dynamique. Le temps se constitue avec le projet de l’homme.

L’en-avant se manifeste dans la temporalité charienne de façon très forte à travers l’emploi du futur, de l’impératif et de l’infinitif. Mais ces formes grammaticales ne représentent pas les procès dans l’avenir de la même façon. Les envisager dans cet ordre, c’est considérer l’idée future d’abord comme un temps expliqué, puis comme un temps impliqué, car l’en-avant temporel se résout, du futur à l’infinitif, en un en-avant absolu, hors du temps.

Notes
604.

“ A la santé du serpent, XXVI ”, Fureur et Mystère, O. C., p. 267.

605.

“ Réponses interrogatives à une question de Martin Heidegger ”, Recherche de la base et du sommet, O. C., pp. 734-736.

606.

“ Floraison successive ”, Le Nu perdu, O. C., p. 450.

607.

“ Buveuse ”, Le Nu perdu, O. C., p. 445.

608.

Félix Gaffiot donne pour praecedere, dans un emploi transitif, “ marcher devant ”, “ devancer ”, et dans un emploi intransitif “ ouvrir la marche ”. C’est ce dernier sens qui apparaît dans “ Floraison successive ”.