1. Une valeur temporelle d’injonction

La valeur d’injonction de l’infinitif est perceptible lorsqu’en contexte apparaît une autre forme exhortative :

Faire la brèche, et qu’en jaillisse la flambée d’une herbe aromatique. 632

C’est à partir de la perception d’une temporalité future diversement sentie dans l’énoncé que l’infinitif devient injonctif. S’il coexiste souvent, en contexte, avec des formes verbales au futur ou à l’impératif, l’avenir peut aussi être exprimé sémantiquement :

Passer sur le chemin nouveau. Ce que nous désirons est vaste. Ce qu’il advient, il y a peu de motifs de s’en affliger. L’impur éden clignote aux côtés de la dérision. 633

Ce sont les verbes désirer et advenir qui incitent à donner à “ passer ” une valeur injonctive. L’infinitif reflète parfaitement la tentation fréquente dans la poésie de René Char de l’énoncé nominal qui n’est pourtant pas très représenté. Il y a en définitive plus de nominalisations que de véritables énoncés nominaux. Cette tentation est combattue dans “ Dernière Marche ” par la présence du futur et de l’impératif :


Oreiller rouge, oreiller noir,
Sommeil, un sein sur le côté,
Entre l’étoile et le carré,
Que de bannières en débris !

Trancher, en finir avec vous,
Comme le moût est la cuve,
Dans l’espoir de lèvres dorées.

Moyeu de l’air fondamental
Durcissant l’eau des blancs marais,
Sans souffrir, enfin sans souffrance,
Admis dans le verbe frileux,
Je dirai : “ Monte ” au cercle chaud. 634

L’infinitif de la seconde strophe se trouve entre deux postulations. La première strophe est un énoncé nominal où toute idée de temps et de personne a disparu. Mais l’infinitif reste verbal et prépare plutôt la dernière strophe dans laquelle les marques temporelles du futur de “ dirai ” et de l’impératif de “ monte ” sont accompagnées de marques de personnes : le pronom de première personne du singulier, et la deuxième pour l’impératif. C’est donc ce contexte final qui permet de lire les deux infinitifs “ trancher ” et “ finir ” avec une valeur injonctive. La perspective du poème est d’ailleurs eschatologique : ce sont les derniers pas qui sont envisagés, à partir d’une situation présente de sommeil, le sommeil étant traditionnellement considéré comme la meilleure représentation de la mort 635 .

Notes
632.

“ Verbe d’orages raisonneurs... ”, La Nuit talismanique qui brillait dans son cercle, O. C., p. 493.

633.

“ Vert sur noir ”, Aromates chasseurs, O. C., p. 526.

634.

“ Dernière marche ”, Le Nu perdu, O. C., p. 438.

635.

“ Le Dormeur du val ” d’Arthur Rimbaud en est sans doute le plus célèbre exemple.