La valeur d’injonction de l’infinitif est perceptible lorsqu’en contexte apparaît une autre forme exhortative :
‘ Faire la brèche, et qu’en jaillisse la flambée d’une herbe aromatique. 632C’est à partir de la perception d’une temporalité future diversement sentie dans l’énoncé que l’infinitif devient injonctif. S’il coexiste souvent, en contexte, avec des formes verbales au futur ou à l’impératif, l’avenir peut aussi être exprimé sémantiquement :
‘ Passer sur le chemin nouveau. Ce que nous désirons est vaste. Ce qu’il advient, il y a peu de motifs de s’en affliger. L’impur éden clignote aux côtés de la dérision. 633Ce sont les verbes désirer et advenir qui incitent à donner à “ passer ” une valeur injonctive. L’infinitif reflète parfaitement la tentation fréquente dans la poésie de René Char de l’énoncé nominal qui n’est pourtant pas très représenté. Il y a en définitive plus de nominalisations que de véritables énoncés nominaux. Cette tentation est combattue dans “ Dernière Marche ” par la présence du futur et de l’impératif :
‘L’infinitif de la seconde strophe se trouve entre deux postulations. La première strophe est un énoncé nominal où toute idée de temps et de personne a disparu. Mais l’infinitif reste verbal et prépare plutôt la dernière strophe dans laquelle les marques temporelles du futur de “ dirai ” et de l’impératif de “ monte ” sont accompagnées de marques de personnes : le pronom de première personne du singulier, et la deuxième pour l’impératif. C’est donc ce contexte final qui permet de lire les deux infinitifs “ trancher ” et “ finir ” avec une valeur injonctive. La perspective du poème est d’ailleurs eschatologique : ce sont les derniers pas qui sont envisagés, à partir d’une situation présente de sommeil, le sommeil étant traditionnellement considéré comme la meilleure représentation de la mort 635 .
“ Verbe d’orages raisonneurs... ”, La Nuit talismanique qui brillait dans son cercle, O. C., p. 493.
“ Vert sur noir ”, Aromates chasseurs, O. C., p. 526.
“ Dernière marche ”, Le Nu perdu, O. C., p. 438.
“ Le Dormeur du val ” d’Arthur Rimbaud en est sans doute le plus célèbre exemple.