Dans une perspective pragmatique, issue de la théorie de la pertinence, les formes proverbiales expriment la vox populi. Le proverbe est un énoncé de type échoïque : il est pertinent dans la mesure où, en le prononçant, un locuteur se fait l’écho d’une pensée qui est celle d’une communauté, sans qu’on puisse jamais identifier l’énonciateur initial 677 Le test d’adjonction d’un “ comme on dit ” est significatif. La vox populi se réalise parfois clairement dans l’emploi du bien nommé pronom d’univers on, et dans le débrayage énonciatif fréquent qui passe par l’emploi de la troisième personne. La détermination s’effectue par l’article défini à valeur généralisante ou l’absence d’article qui place le référent désigné par le nom en dehors de toute actualisation.
Pour Georges Kleiber, le proverbe est un “ nom-name ”, c’est-à-dire qu’il dénomme “ les choses de la réalité ”. C’est une dénomination, au même titre que le nom propre, avec cette différence que le nom propre est une dénomination ordinaire alors que le proverbe est une “ dénomination métalinguistique ” 678 , “ qui s’inscrit dans le code linguistique commun et qui vaut pour tout locuteur ”. La boucle de la désignation de la réalité serait ainsi bouclée, puisque nous sommes partie du nom qui est le meilleur désignateur de la réalité, le nom propre, pour aboutir aux énoncés qui rempliraient la même fonction, des énoncés qui seraient aussi des types de dénomination des “ choses de la réalité ”. Mais que dit vraiment le proverbe ? Il renvoie à un savoir stéréotypique : “ [...] ce savoir stéréotypique implique [...] que les situations humaines, par elles-mêmes, sont typiques, puisqu’il est possible de posséder sur elles un tel savoir. Si le corps des proverbes a pu se mettre en place, et évolue lentement au fil du temps ou varie en synchronie selon les sociétés, c’est qu’il reflète un ensemble de situations dans lesquels un groupe social reconnaît pouvoir se trouver engagé [...] Enfin les proverbes étant supposés acquis par le locuteur et l’interlocuteur, ils illustrent nécessairement l’idée que situations typiques et savoir sur ces situations font partie d’un univers connu et partagé que les interlocuteurs (re)connaissent comme tel ” 679 . La forme proverbiale fait alors comme si elle était un proverbe. Elle prétend décrire une situation humaine qui aurait des caractéristiques typiques et relèverait ainsi d’un savoir connu de toute la communauté humaine. Mais, et c’est là toute la différence avec un pur proverbe, l’interlocuteur “ [...] ne va pas retrouver dans ses connaissances encyclopédiques le candidat-proverbe et la représentation typique qu’il devrait dénommer ” 680 . L’énoncé de vérité, qui n’est pas un véritable proverbe, ne peut faire référence à ce savoir partagé qu’implique la vérité du proverbe. Il ne peut que feindre la caution d’une vérité universelle. Ainsi, dans l’énoncé de vérité du poème, “ [...] le lecteur, loin d’y découvrir un univers “personnel” au poète, comme on l’avance assez souvent, retrouve avant tout un univers partagé et connu de tous. Le texte poétique tendrait aussi à favoriser par des procédures sémantiques spécifiques l’évocation de traits typiques plutôt que de développer des représentations individuelles. Il est même possible — et c’est souvent le cas — que l’univers évoqué n’existe pas, si bien que le texte se présenterait plutôt comme un réseau où l’on fait comme si il y avait déploiement de traits typiques et/ou d’un stéréotype ” 681 . Dans le poème, l’énoncé de vérité correspondrait donc moins à un “ comme on dit ” qu’à un “ comme si ”.
“ [...] l’écho n’a pas de source identifiable, si bien qu’il n’y a pas écho d’un énoncé formulé explicitement par un tiers, ni d’un énoncé qui, vu le contexte, pourrait être attribué à un énonciateur présent ou non dont le locuteur se démarquerait [...] un énoncé proverbial est un énoncé dont l’interprétation échoïque implique nécessairement que l’énoncé dont le locuteur se fait l’écho n’est lui même interprétable que sous une forme échoïque ” (Ibid., p. 57).
Georges Kleiber, Nominales. Essai de sémantique référentielle, 1994, p. 208.
Jean-Michel Gouvard, op. cit., p. 60.
Ibid.
Ibid., p. 61.