b/ Parataxe et ellipse

Une seconde constante de l’aphorisme contemporain est sa brièveté, qui explique notamment que la force argumentative d’un aphorisme ne soit pas toujours apparente. L’énoncé aphoristique est souvent condensé. On l’a vu dans le déplacement des informations prédicatives et circonstancielles vers les groupes nominaux qui se développent fortement. Cette condensation est également perceptible dans l’économie des relations logiques, qui sont rarement explicitées : elles sont souvent prises en charge par la ponctuation et par les réductions syntaxiques que sont la parataxe et l’asyndète.

Lorsqu’il y a des marques de coordination, elles restent simples : c’est avec les conjonctions et et ou que s’effectuent aussi bien les liaisons transphrastiques que les liaisons à l’intérieur de la phrase :

‘Donne toujours plus que tu ne peux reprendre. Et oublie. Telle est la voie sacrée.

Nous pourrions être des chiens commandés par des serpents, ou taire ce que nous sommes.

Petite pluie réjouit le feuillage et passe sans se nommer.

Comme l’incurieuse vérité serait exsangue s’il n’y avait pas ce brisant de rougeur au loin où ne sont point gravés le doute et le dit du présent !

Si le premier fragment est une liaison de phrase, la coordination relie des propositions dans le second et dans le troisième, et deux noms dans le quatrième. De plus, la valeur de et peut varier : si elle est temporelle dans le premier cas où elle exprime un enchaînement chronologique, elle est également temporelle dans le troisième et le quatrième cas mais elle exprime alors une concomitance.

Lorsque les liaisons ne sont plus matérialisée que par la ponctuation, les valeurs logiques et chronologiques sont implicites. Dans des aphorismes comme

‘L’arbre de plein vent est solitaire. L’étreinte du vent l’est plus encore.

et

‘La foudre n’a qu’une maison, elle a plusieurs sentiers. Maison qui s’exhausse, sentiers sans miettes.

le point dans le premier et les virgules dans le second sont les signes d’une opposition, renforcée dans le premier par le comparatif, et, dans le second, par la négation restrictive portant sur l’expression d’une unicité par opposition avec une pluralité. Dans ce dernier cas, le point entre les deux phrases est également une marque de contraste qui vient ainsi renverser la conséquence implicite de l’opposition marquée par la virgule : la faiblesse supposée de l’établissement de la foudre est niée par l’affirmation d’une construction. Mais la ponctuation peut également signifier d’autres rapports logiques, comme la conséquence :

‘Si tu cries, le monde se tait : il s’éloigne avec ton propre monde.

Les deux-points sont la seule manifestation d’un rapport de conséquence qui vient logiquement clore une succession logique initiée par une hypothèse continuée par son effet.