Henri Meschonnic 708 refuse de cantonner la poésie à l’expression d’images. Le primat de la métaphore dans la poésie entraîne en effet un oubli non seulement du rythme, mais de la représentation. Le vers est par excellence perçu comme le lieu de créations d’images loin de toute préoccupation narrative. La réalité habite cependant le poème en vers bien au-delà de la seule matérialité du langage à laquelle Valéry l’identifiait.
“ Loi oblige ” n’a certes pas la rigueur métrique d’un poème en vers classique :
‘L’étoile qui rauquait son nom indéniable,Les second et troisième vers ne sont pas des alexandrins alors que les autres vers respectent ce mètre, et l’absence de rimes ne permet pas de définir les strophes représentées typographiquement. Les alexandrins présentent toutefois une véritable césure isolant deux hémistiches.
Ce poème en vers n’exclut pas le récit, bien au contraire : c’est le récit qui vient en fonder la construction. Si la première strophe évoque la capture de l’étoile et la conséquence qu’elle implique, la seconde strophe expose le projet imaginé par le locuteur qu’est l’albatros pour modifier cette conséquence : à “ domestiqué ” s’oppose “ ensauvagerai ”. Le récit attendu est infléchi mais le poème demeure narratif, même dans la projection du futur qui exprime moins l’avenir, rappelons le, qu’une action envisagée en-avant.
Mais la dimension narrative est également perceptible dans un poème dont la versification est beaucoup plus libre :
‘L’oiseau bêche la terre,Le titre “ Victoire éclair ” résume parfaitement le poème : il fonctionne par rapport aux deux séquences narratives du poème articulées par l’adverbe “ soudain ”, même si les deux victoires successives sont inverses. La première séquence est celle du triomphe de la mort, mais la seconde vient la renverser par l’amour qui est précisément “ l’égal de la terreur ”. Le principe contraire a une force équivalente susceptible de renverser la victoire.
Ce renversement total tient en grande partie à l’enchaînement rapide des séquences qui repose à la fois sur la vivacité de la versification et sur la brièveté de l’énoncé nominal. En effet, les vers qui se succèdent sont des mètres courts : à une majorité d’hexasyllabes s’ajoutent des mètres plus brefs qui l’abrègent et des mètres plus longs qui au contraire le débordent. Ce déséquilibre constant mais toujours fondé sur des vers courts assure une progression dramatique très rapide. Si elle semble se ralentir à partir du huitième vers, il n’en est rien : le vers allongé en verset masque en effet une poursuite du même rythme : “ Plus de second soi-même (6), de visage changeant (6), plus de saison pour la flamme (7) et de saison pour l’ombre ! (6) ”. La phrase qui marque le renversement de la victoire rassemble également des séquences qui prolongent le rythme : “ Soudain l’amour (4), l’égal de la terreur (6), /D’une main jamais vue (6) arrête l’incendie (6), redresse le soleil (6), reconstruit l’Amie (5) ”. Le rythme se fonde alors sur les unités formées par les groupe grammaticaux. Si ces groupes correspondaient exactement aux unités métriques au début du poème, ils se succèdent ensuite à l’intérieur de l’unité rythmique qu’est le verset. Mais ces groupes grammaticaux influencent syntaxiquement la rapidité de l’ensemble. D’une part, plusieurs vers sont des énoncés nominaux qui condensent la prédication, et d’autre part, l’enchaînement des énoncés s’effectue en majorité sur le mode de la parataxe.
Le récit s’appuie sans aucun doute sur la versification. La rapidité des enchaînements qui en font l’originalité ne repose pas sur le lexique, qui la signifie uniquement par l’adjectif du titre et l’adverbe “ soudain ”. Elle est surtout portée par la brièveté des vers. Le vers sert parfaitement la mise en œuvre du récit.
Voir Henri Meschonnic, op. cit., p. 478.
“ Loi oblige ”, Chants de la Balandrane, O. C., p 558.
“ Victoire éclair ”, La Parole en archipel, O. C., p. 372.