Le motif du seau essaime sur plusieurs recueils, mais c’est moins sa récurrence que les différents formes de sa manifestation qui nous intéressent. Il apparaît dans un poème en vers dans Le Nu perdu :
‘Qui l’entendit jamais se plaindre ?A la fin du poème qui correspond à la dernière étape du mouvement d’abstraction, le seau apparaît dans une phrase qui fait figure d’aphorisme. Il est en revanche intégré à un véritable aphorisme, autonome, dans “ Aromates chasseurs ” :
‘La foudre libère l’orage et lui permet de satisfaire nos plaisirs et nos soifs. Foudre sensuelle ! (Hisser, de jour, le seau du puits où l’eau n’en finit pas de danser l’éclat de sa naissance.) 729L’intégration de l’aphorisme dans un poème ne pose pas problème. En revanche sa multiplication en tant que forme autonome pose le problème de son statut dans un ensemble. Lorsque, sous un seul titre, plusieurs aphorismes se succèdent, on peut parfois les associer dans une véritable unité thématique, ou à l’inverse considérer que leur juxtaposition maintient leur autonomie. L’unité de “ Sur une Nuit sans ornement ” est indéniable grâce à la récurrence même du nom “ nuit ” :
‘Regarder la nuit battue à mort ; continuer à nous suffire en elle.Si l’unité du poème n’est pas mise en doute, la juxtaposition pose tout de même une question : l’aphorisme n’est-il pas un vers ? S’agit-il d’une succession de versets ou d’aphorismes regroupés ? Lorsque l’unité des aphorismes est grande, on peut en effet être tenté d’y reconnaître des versets. Les limites entre le poème en prose et les aphorismes regroupés sont mouvantes. Le choix d’une de ces formes dépendra du principe de construction retenu : le texte se fonde-t-il sur l’ensemble ou sur le segment, autrement dit sur le tout ou sur la partie ? Le poème est en tension entre son unité et sa discontinuité.
“ Yvonne ” Le Nu perdu, O. C., p. 430.
“ Aromates chasseurs ”, Aromates chasseurs, O. C., p. 512.
“ Sur une nuit sans ornement ”, La Parole en archipel, O. C., pp. 392-393.