4. De la réalité à la vérité

Historiquement, la représentation de la réalité et la formulation d’une vérité sont associées à des formes. Ces formes sont en apparence très différentes, mais leur définition, qui justifie leur opposition, n’est pas aisée. On confond rapidement des genres historiques avec des types de textes, confusions d’où émergent des couples tels que ceux que constituent la poésie et le lyrisme, le récit et le roman, l’aphorisme et la vérité. Mais les pratiques poétiques ne respectent pas toujours ces associations. Les nuances sont nécessaires et elles se manifestent dans des emplois qui, sans être extraordinaires, sont personnels et vivants. Ces pratiques originales sont au fondement des formes-sens les plus réussies.

Il n’est pas question d’apparier tous les poèmes de René Char en leur trouvant un correspondant dans son oeuvre, correspondant qui n’existe pas toujours. La mise en évidence de correspondances possibles tend simplement à montrer que le traitement d’une même réalité peut être variable, et que ces variations consistent en une condensation ou un développement, une mise en récit ou un énoncé de vérité, un poème en prose ou un aphorisme. Il s’agit donc bien de tendances. L’aphorisme, s’il favorise l’énoncé d’une vérité, n’est pas nécessairement plus conceptuel. Il est à la fois, comme le poème en prose ou en vers, un lieu de l’expression sensible et intelligible. La vérité n’est en tout cas jamais directement intelligible, quelle que soit la forme employée. Elle passe par un moment sensible qui fait de la réalité le point de départ du mouvement d’abstraction.

Les notions de vérité et de réalité se trouvent redéfinies aussi bien l’une que l’autre, et l’une par rapport à l’autre. Si la réalité est au fondement de la création poétique, la vérité en constitue la visée, mais elles demeurent toutes deux des principes dynamiques dans une poésie qui l’est éminemment.