1.5.2.1. Ferenczi, de la « technique active » à « l’analyse mutuelle »

En avançant en 1928 la proposition d’une « éventuelle métapsychologie des processus psychiques de l’analyste au cours de l’analyse », S. Ferenczi souhaitait amener les analystes à l’élaboration théorique de leur technique. Bien que Ferenczi ne soit pas allé au delà de cette proposition, son initiative pour ainsi dire inaugure de très nombreuses contributions venues par la suite traiter de l’activité de l’analyste dans la cure et de la fonction qu’y joue le contre-transfert. Il a mis à jour certaines difficultés techniques concernant l’introjection, la projection, l’identification et le transfert.

Son point de vue sur le transfert est le suivant : Dans un article datant de 1909, « Transfert et Introjection» il conçoit le transfert comme introjection de la personne du médecin dans une économie subjective.

‘« J’ai décrit l’introjection comme l’extension au monde extérieur de l’intérêt, à l’origine auto-érotique, par l’introduction des objets extérieurs dans la sphère du moi. J’ai insisté sur cette « introduction » pour souligner que je considère tout amour objectal (ou tout transfert) comme une extension du moi ou introjection, chez l’individu normal comme chez le névrosé.»28

Il aborde le problème de l’action psychanalytique, et révèle déjà les tourments qu’elle provoque.

‘« Les difficultés majeures de l’analyse proviennent précisément de cette particularité des névrosés, de transférer leurs sentiments renforcés par des affects inconscients sur la personne du médecin, fuyant ainsi la connaissance de leur propre inconscient.»29

Ferenczi donne de multiples exemples d’expression du transfert :

‘« Quand le médecin traitant apparaît dans les rêves, l’analyste décèle des signes certains du transfert.»30

C. Garrigues souligne que

‘« Ferenczi est sans doute le premier chez qui va s’articuler une question sur le désir de l’analyste. Il veut engager l’analyse dans le sens d’une activité du thérapeute. »31

Constatant que parfois le traitement stagne et que les associations se tarissent, l’analyste, au moyen d’injonctions ou d’interdictions, incite le patient à adopter une attitude active, c’est-à-dire à faire de nouvelles choses ou à renoncer à d’autres. Dans l’article de 1919 « Difficultés techniques d’une analyse d’hystérie » Ferenczi dit :

‘« [...] les patients, malgré une observance rigoureuse de la règle fondamentale et une vue profonde sur leurs complexes inconscients, n’arrivaient pas à surmonter certains points morts de l’analyse tant qu’on ne les incitait pas à oser sortir de la sûre retraite constitutée par leur phobie et à s’exposer, à titre d’essai, à la situation qu’ils avaient fuie avec angoisse en raison de son caractère pénible. [...] C’était désormais ce procédé que j’entendais désigner par le terme de technique active, qui ne signifiait donc pas tant une intervention active de la part du médecin que de la part du patient, auquel on imposait à présent, outre l’observance de la règle fondamentale, une tâche particulière. »32

L’intervention active de l’analyste peut prendre deux formes. L’analyste peut inviter le patient à renoncer à la satisfaction détournée de ses désirs refoulés ou au contraire, encourager le patient à jouir ouvertement et librement. Ainsi le patient est autorisé à crier tout fort, à se lever, à chanter. Ferenczi précise que ce n’est donc pas l’analyste qui est invité à exercer une activité mais le patient. L’utilisation de la technique active

‘« [...] incite le patient à certaines activités, à des inhibitions, à des attitudes psychiques, ou à une décharge d’affects, et espère pouvoir accéder secondairement à l’inconscient ou au matériel mnésique. »33

C’est surtout avec l’instauration de l’analyse mutuelle que S. Ferenczi explore la relation transféro-contre-transférentielle en avançant que le patient analyse son analyste. En effet, S. Ferenczi est très attentif à ce fait que les patients peuvent ressentir comme perturbants, non seulement, certains comportements manifestes, mais également certaines dispositions inconscientes de l’analyste à leur égard. L’idée de l’analyse mutuelle s’étaye sur l’invention d’une de ses patientes : R.N. L’analyse de cette patiente durait depuis plus de deux ans. Au début, Ferenczi avait trouvé cette jeune femme plutôt antipathique. Dans une réaction de surcompensation, il s’était alors efforcé de combler tous les désirs de sa patiente, dans le sens de sa technique d’indulgence et d’élasticité. Celle-ci en conclut que son analyste éprouvait pour elle des sentiments amoureux et crut avoir trouvé en lui « l’amant idéal ».

‘« La patiente m’attribuait le rôle de cet amant parfait. Comme pour tous les fantasmes produits par les patients, je tâchai de pénétrer également dans les profondeurs de ceux-ci [...] Bientôt ceux-ci prirent un caractère sexuel que j’analysai, comme tout le reste, avec intérêt et bienveillance. Mais lorsqu’elle me demanda un jour directement si cela signifiait que j’étais réellement tombé amoureux, je dis tout à fait honnêtement que c’est là un processus purement intellectuel... » 34

Devant cette tournure des choses, Ferenczi prend peur et opère un mouvement de retrait, tout en essayant d’interpréter pour sa patiente les sentiments négatifs qu’elle devait éprouver à son égard. Il verbalisait lui-même, en présence de sa patiente, les associations qui pouvaient lui venir concernant ses propres réactions.

‘« Elle (l’analyse mutuelle) donne l’occasion de laisser libre cours à mon antipathie. »35

A la suite de cet événement, il constate que l’analyse faisait de nouveau des progrès. Ferenczi accepte alors d’engager l’expérience de façon plus systématique. L’évolution du traitement lui fait écrire :

‘« A qui revient le mérite de ce succès ? Certainement avant tout à la patiente qui dans sa situation précaire de patiente, ne se lassa pas de combattre pour son bon droit ; cela n’aurait cependant servi à rien si je ne m’étais moi-même soumis au sacrifice inhabituel de risquer l’expérience de me mettre, moi en tant que médecin, entre les mains d’une malade assurément dangereuse. »36

La technique d’analyse mutuelle est sous tendue par l’idée que là où l’analyste est incapable d’offrir à son patient un soutien stable, il doit au moins lui fournir des repères. Toutefois en situant pour le patient ses propres faiblesses et sentiments aussi sincèrement qu’il en est capable, l’analyste met en danger son équilibre et l’issue de la cure psychanalytique. Peu à peu Ferenczi rencontre toute une série de problèmes résultant de la technique d’analyse mutuelle. Dans sa note du 31 janvier, il en énumère un certain nombre :

‘« Le risque de voir le patient détourner l’attention de lui-même pour se mettre en quête, sur un mode paranoïde, des complexes de l’analyste ; l’impossibilité de se faire analyser par chacun de ses patients ; la nécessité impérative de respecter la sensibilité du patient ; le problème posé par la discrétion due aux autres patients, dont l’analyste serait, en principe, tenu de communiquer les secrets au patient analyste. »37

Ferenczi en vient à faire la critique de sa méthode. Enfin, dans une note du 3 juin, il conclut que l’analyse mutuelle n’est qu’un « pis aller », rendu nécessaire par l’analyse insuffisamment approfondie des analystes. De cette technique abandonnée, il reste néanmoins que Ferenczi s’est posé les questions judicieuses du côté de l’analyste et du maniement du contre-transfert au moyen de la technique active. De fait, la mise en œuvre et la théorisation de cette technique préfigure ce que seront les rapports futurs du transfert et du contre-transfert.

Notes
28.

FERENCZI S., Psychanalyse I, p. 196,197. (41)

29.

Ibidem, p.93. (41)

30.

Psychanalyse I, op. cit., p.96. (41)

31.

GARRIGUES C., Le piège du contre-transfert, p. 10. (55)

32.

FERENCZI S., Psychanalyse III, p. 119. (42)

33.

Psychanalyse III, op. cit., p.131. (42)

34.

FERENCZI S., Journal clinique, p.154. (40)

35.

Ibidem, p.155. (40)

36.

Ibidem, p.156. (40)

37.

Journal clinique, op. cit., p. 34. (40)