1.6.2. La perception anormalement difficile chez l’analyste du rapport qu’ont entre elles les enveloppes psychiques du patient

Pour J. Guillaumin :

‘« On définit ce genre de trouble par des situations de blocage ou d’obturation d’écoute de l’inconscient, assez longues et insistantes pour que l’analyste du patient ait grand’peine à en tirer profit dans l’interprétation et pour qu’il tende à s’y enliser dommageablement en retombant en série dans le même genre de pièges. »64

Il ajoute plus loin :

‘« On peut considérer que tout se passe comme si l’analyste venait alors se coller lui-même, sans pouvoir s’en différencier, dans la peau psychique fantasmatique de son patient, à la manière d’un parasite. »65

J.B. Pontalis voit lui aussi dans les mouvements contre-transférentiels avant tout des réponses, réfractées par la propre fantasmatique de l’analyste, aux mouvements transférentiels de l’analysé. Pour lui, ce sont des réponses anticipatrices qui viennent signaler à l’analyste par l’irritation, l’angoisse, le plaisir ressenti, un conflit chez le patient. Dans un article intitulé « A partir du contre-transfert le mort et le vif entrelacés », J.B. Pontalis évoque le contre-transfert lorsque la dynamique de l’analyse se fige. A ce propos, il emploie l’expression suivante : « être touché au mort ». Ce sont des mouvements corporels discrets qui font écho à une motion pulsionnelle mise en route chez l’analyste par ce qu’il vient d’entendre.

‘« Tous les mots qui me viennent ici : figé, pétrifié, renverraient, en première instance, à des sensations corporelles indiquant une impuissance motrice : paralysie vécue comme contraignante... cette mortification peut, selon la pathologie de l’analyste, prendre une coloration plus claustrophobique : être tenté d’abréger la séance, fuir mentalement, être hypervigilant, être dépressif. »66
« En seconde instance, c’est le fonctionnement mental de l’analyste qui est menacé, saisi et, là aussi, l’effet de la force d’impact du mode d’être de l’analysé sur lui se laisse d’abord percevoir en termes déficitaires : incapacité d’un échange en lui, entre processus primaire et secondaire, blocage, voire sidération de la pensée[...] notre seule protection et notre seule issue sont alors d’imputer au patient l’origine du malaise, de supposer qu’il agit sur nous et en nous... le « touché au mort » indique la mort de la réalité psychique. »67

J. Caïn évoque, également, un certain type de qualités contre-transférentielles qui sont spécifiquement attachées aux patients souffrant de maladies organiques. Sifnéos parle d’alexithymie, Joyce Mac Dougall signale l’ennui anxiogène que déterminent les litanies de certains patients. Marty décrit la dépression essentielle et le cortège de désintérêt qui l’accompagnent. Pour mieux situer sa position Caïn reprend deux citations de J. Mac Dougall :

‘« [...] de tels états lorsqu’ils apparaissent chez les patients au cours de la cure sont perçus directement dans notre contre-transfert par l’éprouvé d’une fatigue correspondant à l’alexithymie de l’autre mais différent d’elle en ce sens qu’elle s’accompagne d’une angoisse et d’un mal être. »68

Plus loin :

‘« [...] en raison de débordements divers, nous pouvons tous nous trouver déconnectés de notre réalité psychique dans ses aspects émotionnels et de ce fait incapables d’élaborer ou de contenir les forces affectives mobilisées, faute d’avoir pu obtenir et reconnaître leurs effets. A la place nous risquons de les agir ou peut-être de tomber malade. »69

J.B. Pontalis formule deux propositions de positions ou des prises contre-transférentielles assignées par la mise en scène fantasmatique du patient et particulièrement par le fantasme sado-masochique tel qu’il s’actualise dans la situation psychanalytique. Dans la première catégorie de situations,

‘« [...] l’analyste se sent trop inclus, envahi, bombardé, menacé, passivé par « un trop» d’excitations ; il oscille entre « la sympathie encourageante, la pitié et l’irritation » ; le dilemme dans lequel il se trouve pris est : « être tortionnaire ou être la victime ». L’analyste cesse alors d’être une surface de projection pour être traité et se ressentir comme dépotoir. »70

Dans la seconde,

‘« [...] il se sent exclu, il n’y a « pas assez » d’excitations. Donc là dépotoir, ici dépositaire. »71
« Les séances à l’opposé des précédentes, où la surcharge d’investissement était telle qu’elle les faisait apparaître comme surréelle, sont marquées de sous-réel, c’est une pseudo réalité psychique. »72

J.B. Pontalis fait remarquer la différence qu’il existe entre position et emprise contre-transférentielles.

L’emprise suscite une tension, une pression, autrement plus fortes.

‘« On pourrait dire qu’ici l’appareil psychique exige, pour se maintenir en état de marche, d’exercer son emprise directement sur l’appareil psychique de l’autre. Il s’agit de court-circuiter la possibilité d’une activité représentative, d’une activité de pensée autonome. La visée est d’empêcher chez l’autre ce qui fait défaut en soi : la constitution et le déploiement d’un espace psychique. Searles met en évidence que chacun des protagonistes trouve son compte dans ce lien. Les conséquences contre-transférentielles sont une défense à visée protectrice face au risque d’une relation « symbiotique » perçue comme une attaque psychique. »73

Il est des cas où le patient devient fascinant pour l’analyste, ce qui a pour effet de paralyser le travail. Au niveau le plus profond il se produit une rupture des barrières pare-excitation sur un appareil psychique (sur un moi) immature.

La séduction c’est aussi souhaiter tromper sur ce qu’on peut donner.

‘« La séduction met en jeu une sorte de phallus fascinatoire, brandi intentionnellement à la manière d’un fétiche devant l’objet à séduire, pour dénier le manque. »74

En ce qui concerne le séduit :

‘« La brillance que prend pour lui l’objet, ou le matériel, qui s’agite et se fétichise sous son regard, ou dans son écoute, a pour effet de faire régresser son Moi (structurellement et temporellement) en mettant en faillite, plus ou moins provisoirement, les différenciations topiques et fonctionnelles dont il dispose d’habitude. D’où une fascination monodéïque [...] qui désintégrant les défenses et les capacités d’analyse, se traduit par une manière d’inhibition intellectuelle. »75

J. Guillaumin rapproche cette lecture de celle de W. Bion concernant l’attaque des liens de la pensée par certains éléments de type « bêta » (bruts) et qui correspondent à des choses en soi et qui paralysent la mentalisation, c’est-à-dire la mobilisation psychique et l’élaboration d’éléments « alpha ». Dès lors, ces éléments bruts risquent de paralyser tout le développement processuel du réseau de ses pensées, et le pouvoir même d’analyse.

‘« Le contre-transfert proprement dit réside en fait dans les attitudes psychiques que l’analyste produit en réaction à cet impact météorique brut. Ce peuvent être des actes non contrôlés, des mouvements intérieurs (d’agression, d’auto-agression), de l’angoisse, une sidération pure et simple, ou au contraire un effet hypomaniaque de jubilation ou de « charme », ou bien encore divers biaisages interprétatifs, qui correspondent à une rationalisation secondaire plus ou moins « pauvre » et à une justification « pénible » du vécu éprouvé. »76

D W. Winnicott met en évidence que les psychanalyses de psychotiques sont plus « ingrates » que celles des névrotiques. En effet, les symptômes psychotiques rendent le travail analytique plus compliqué car le patient psychotique

‘« [...] est dans un état de sentiments où coïncident l’amour et la haine. Il ressent la conviction que l’analyste lui aussi est seulement capable d’une relation à l’état brut, dangereuse, où coïncident amour et haine ? »77

Il y a aussi le contre-transfert négatif, qui devient ici une sorte de haine primaire contre le patient. Winnicott soutient que la haine contre-transférentielle n’est vraiment redoutable que si elle est méconnue ou niée. En prendre conscience pleinement (et éventuellement en parler), sans la décharger, serait au contraire essentiel au rôle de l’analyste.

Fédida rappelle qu’en 1955, H. Searles avait déjà souligné les identifications archaïques qui se

‘« [...] manifestent dans la thérapie comme de fortes qualités maternelles tendant à provoquer des sentiments infantiles de dépendance chez le thérapeute. »78

Du fait que le psychotique différencie difficilement ce qui relève en lui de la pensée, de l’émotion et de l’agir, ses besoins de dépendance tendent à une sorte de collusion physique sans contact corporel avec l’analyste.

Notes
64.

Les enveloppes psychiques, op. cit., p.159. (59)

65.

Ibidem, p.159. (59)

66.

A partir du contre-transfert : le mort et le vif entrelacés, op. cit., p.76. (117)

67.

Ibidem, p.76,77. (117)

68.

CAIN J., Corps et histoire, p.249. (24)

69.

Corps et histoire, op. cit., p.249. (24)

70.

A partir du contre-transfert : le mort et le vif entrelacés, op. cit., p.77. (117)

71.

Ibidem, p.83. (117)

72.

Ibidem, p.82. (117)

73.

A partir du contre-transfert : le mort et le vif entrelacés, op. cit., p.80. (117)

74.

Contre-transferts, op. cit., p.468.(60)

75.

Ibidem, p.468. (60)

76.

Contre-transferts, op. cit., p.470. (60)

77.

WINNICOTT D. W., La haine dans le contre-transfert, p.74. (141)

78.

Crise et contre-transfert, op. cit., p. 174. (38)