1.7. Devenirs et traitements du contre-transfert

Freud donne la recommandation suivante :

‘« Pour que le médecin soit capable de se servir ainsi de son propre inconscient comme d’un instrument, il lui faut se soumettre dans une large mesure, à une certaine condition psychologique. Il ne doit tolérer en lui-même aucune résistance susceptible d’empêcher les perceptions de son inconscient d’arriver jusqu'à son conscient, sinon il introduirait dans l’analyse une nouvelle sorte de sélection et de déformation bien plus néfaste que celle provoquée par un effort de son attention consciente. Il ne suffit pas, pour cela, que le médecin soit à peu près normal, il doit avoir pris connaissance de ses propres complexes qui risqueraient de gêner sa compréhension des propos de l’analysé. »81

Il ne s’agit pas seulement de « maîtriser son contre-transfert », mais de le surmonter grâce à un travail d’élaboration qui permette d’en distinguer les différentes composantes et d’en expliciter le sens.

Si l’on admet avec J. Guillaumin que

‘« [...] le maniement satisfaisant du contre-transfert repose chez l’analyste sur la capacité d’éviter la diffusion des états incontrôlés produits par certains transferts à l’ensemble de son Moi, et d’y localiser ainsi l’émoi et les représentations correspondantes sans toutefois les isoler... sur le plan fonctionnel et cliniquement cela s’exprime par la possibilité, pour le praticien, d’introduire toujours au moment opportun un médiateur entre son instance consciente de jugement et de décision et sa sensibilité immédiate au matériel du patient. Un médiateur n’est pas une barrière de censure, ou plus généralement de clivage, au dedans du Soi. C’est une référence latérale, intervenant en tiers dans les relations directes du moi et de l’inscription dans le Soi des excitations produites par l’objet. »82

Cette tierce référence peut prendre concrètement des formes diverses. Ce peut être :

En fait, comme le dit J. Guillaumin :

‘« [...] elle repose sur la décentration de la pensée de l’analyste par mobilisation d’une identification fonctionnelle partielle du Moi à un autre modèle technique »83

L’appel à référence s’effectue de manière plus ou moins rigide . Il peut être défensif ou se faire en souplesse en fonction de l’expérience de l’analyste.

Cependant, lorsque le psychanalyste ou le psychiatre, chacun dans son cadre de travail est confronté à des patients psychotiques leurs repères sont bousculés. Le thérapeute ne reste pas sans réactions face à l’attitude transférentielle du patient, qu’elle soit positive ou négative. Winnicott souligne que l’analyse d’une personne psychotique est :

‘« [...] ingrate comparée à celle d’un névrotique » et que « si nous souhaitons pouvoir être analystes de psychotiques, il faut être remonté jusqu’aux choses les plus primitives en nous. »84

P. Attigui dans « De l’illusion théâtrale à l’espace thérapeutique » souligne que :

‘« La nature du transfert psychotique apparaît si spécifiquement vertigineuse, qu’elle amène constamment le thérapeute à sortir de cette prétendue neutralité, et qu’il devient impérieux pour ce dernier d’y voir plus clair quant à son contre-transfert. »85

H. Searles remarque que :

‘« [...] la tradition médicale dans laquelle les médecins ont été formés veut qu’ils n’aient aucune réaction affective à l’égard de leurs patients, rien d’autre qu’une compassion active et dévouée ; comme médecins, ils ne devraient jamais éprouver vis-à-vis de leurs patients des sentiments tels que la haine, l’envie, le rejet. En travaillant avec des internes en psychiatrie dans différents hôpitaux, Harold Searles est venu à penser que rien n’entravait plus les efforts des jeunes psychiatres confrontés à des schizophrènes que ce sentiment d’être ainsi enfermés dans leur identité de médecins, confinés dans un rôle qui risque de les laisser sans recours face à l’utilisation sadique que les patients font de leur dévouement. »86

De ce fait, certains psychanalystes considèrent que leur pratique doit être réservée à ceux dont la structure névrotique est suffisamment efficace pour qu’ils puissent choisir, en toute liberté l’expérience analytique. Par le biais des « indications » de l’analyse, ils se gardent d’aborder les problèmes les plus difficiles de leur pratique. Pour d’autres, le traitement des psychotiques les amènent à remettre en question la position soutenue par Freud selon laquelle ceux-ci

‘« [...] détournent leur intérêt du monde extérieur (personnes et choses), se soustraient à l’influence de la psychanalyse et deviennent inaccessibles à nos efforts pour les guérir. »87

Le point de vue de ces psychanalystes est évoqué par Neyraut :

‘« Non seulement la plupart des psychanalystes qui s’occupent des psychotiques tiennent pour acquise la capacité de transfert de leurs patients, mais affirment qu’ils ont affaire à des « transferts massifs ». Ce terme de « transfert massif » reflète me semble-t-il, l’impression subjective et globale d’une immobilisation, d’une mainmise psychique, d’une incarcération de la personne du thérapeute dans l’espace subjectif de la pensée psychotique [...] La pénétration intuitive des psychotiques dans l’inconscient d’autrui, leur capacité d’exprimer de façon consciente ce qui dans la pensée névrotique relève de l’impensable, traduit la rupture des frontières intérieures du narcissisme et rend compte d’un inéluctable et nécessaire contre-transfert massif. »88
Notes
81.

La technique psychanalytique, op. cit., p.66, 67. (49)

82.

Contre-transferts, op. cit., p.473. (60)

83.

Ibidem, p.473. (60)

84.

La haine dans le contre-transfert, op. cit., p.74. (141)

85.

ATTIGUI P., De l’illusion théâtrale à l’espace thérapeutique, p.163. (8)

86.

SEARLES H., Le contre-transfert, p. 216. (125)

87.

FREUD S., Pour introduire le narcissisme, p. 82. (48)

88.

Le transfert, op. cit., p.76,77. (115)