2.2.2. Les théories psychodynamiques

2.2.2.1. B. Bettelheim : Une théorie psychodynamique marquante

Contemporain de Kanner, B. Bettelheim est célèbre pour avoir mis en application ses principes au sein d’une institution. Bien que non psychanalyste, ses conceptions de travail se réfèrent à la psychanalyse. Il rappelle que la démarche première de Freud a oscillé entre introspection et observation.

L’hypothèse avancée par B. Bettelheim est que le retrait autistique constitue une défense contre une angoisse massive vis à vis des contacts humains, et que cette angoisse est elle-même liée à une expérience angoissante vécue dans les premières relations mère-enfant. B. Bettelheim à travers les processus de soins qu’il élabore nous amène à considérer de l’intérieur le syndrome autistique. Il s’agit pour le thérapeute de ressentir et de partager les sentiments (tout en les comprenant) de l’enfant autiste pour avoir accès à son être. Ainsi débute son livre « La forteresse vide » :

‘« Une bonne partie de la psychologie moderne a pour but l’acquisition de connaissances sur autrui, trop souvent, à mon avis, sans qu’il y ait en contrepartie engagement dans la connaissance de soi. Pourtant connaître l’autre (ce qui est bien différent d’avoir des connaissances sur l’autre) ne peut être fonction que de la connaissance de soi. »95

Bettelheim fait part de ses motifs personnels de s’intéresser aux enfants autistes. Lorsqu’il habitait Vienne, il a accueilli chez lui une enfant qui s’avère, après coup, présenter des troubles autistiques. D’autre part, pendant l’année 1938, prisonnier dans un camp de concentration, il a été très frappé par le comportement de certains prisonniers. Bettelheim fait l’hypothèse d’un lien entre les camps de concentration et l’autisme infantile : une perte d’humanité et un retrait. Dans les camps, les conditions étaient les mêmes pour tous, mais seuls ceux qui avaient le sentiment d’être impuissants face à la situation nouvelle et de ne pouvoir y échapper développaient des réactions schizophréniques. Les réactions sont semblables à celles des enfants autistes : le regard vide, une absence de tonus musculaire (traîne les pieds), une méconnaissance de la réalité. Bettelheim propose donc de considérer l’autisme infantile comme un état mental se développant en réaction au sentiment de vivre dans une situation extrême et entièrement sans espoir.

B. Bettelheim d’une manière générale est sceptique sur les capacités d’une famille à éduquer un enfant autiste. L’éducation, pour lui, est une tâche trop complexe pour être confiée à des profanes, elle nécessite des talents particuliers mais surtout une formation et un langage scientifique.

Tout au long de son livre B. Bettelheim argumente pour développer son hypothèse. Dans les passages où il se montre le plus radical, il soutient

‘« [...] que le facteur qui précipite l’enfant dans l’autisme infantile est le désir de ses parents qu’il n’existe pas. »96

Il propose de considérer que, durant la première enfance, les parents dirigent des sentiments extrêmement négatifs, exclusivement, et tout spécialement sur l’enfant qui deviendra autistique. Cela intervient pendant les « périodes critiques » du développement de l’enfant ; c’est à dire, durant les six premiers mois de la vie où les relations d’objet apparaissent, puis entre six et neuf mois, lorsque s’esquisse le langage, et enfin entre 18 et 24 mois, lorsque l’enfant commence à être plus présent dans ses relations avec l’environnement.

Sans concession, ni ménagement, Bettelheim décrit des situations de dysfonctionnements possibles entre mère et enfant.

‘« De nombreuses mères d’enfants autistes ont peur de se comporter en véritable personne, d’autres en sont incapables aussi, pour une raison ou pour une autre. Une pareille mère sentant très bien qu’elle désire que son enfant n’existe pas, redoute tellement ses propres penchants qu’elle inhibe toute spontanéité dans ses rapports avec l’enfant. Elle ne s’occupe jamais de l’enfant en entier de peur que ses sentiments ne fassent irruption. Elle ne s’occupe que des parties isolées du corps de l’enfant. »97

C’est ce type de propos qui fera que les parents d’enfants autistes se défendront et décrieront le psychanalyste.

Lorsque Bettelheim parle des parents de Laurie, son contre-transfert est flagrant envers des parents qui ont retiré prématurément et sans raison leur enfant de l’Ecole Orthogénique.

‘« La mère de Laurie nous apparut comme une personne narcissique qui luttait pour maintenir, avec difficulté, sa fragile emprise sur la réalité. Elle paraissait dans une large mesure s’être retirée du monde. Le père, lui semblait ne plus s’intéresser du tout à Laurie depuis très longtemps ; il était convaincu qu’elle avait eu des lésions irréversibles à la naissance ou même avant. Il considérait sa fille comme un cas incurable, sans espoir, un acte du destin qu’il acceptait comme un fardeau personnel. »98

Dans les trois cas présentés, Bettelheim évoque l’enfance et la vie des parents. La plupart du temps il fait remonter les difficultés actuelles bien avant la naissance de l’enfant.

‘« L’origine des ennuis de Marcia précédait sa naissance, comme c’est le cas chez tous les enfants autistiques. »99

C’est surtout cette dénonciation de la famille qui sera retenue de lui. Après sa mort, il sera l’objet d’une campagne de calomnies

‘« [...] où à l’idéalisation excessive d’un personnage très médiatisé succède les accusations de violences sur les enfants, et de fraude scientifique. »100

On oublie d’un coup tout l’apport positif de Bettelheim au traitement de l’autisme infantile. La richesse des observations et des réflexions en font un témoignage intéressant sur le plan clinique. Bettelheim nous fait sentir combien les enfants sont aux prises avec des angoisses écrasantes et terrifiantes.

‘« A certains Laurie donnait l’impression que, tout au fond d’elle-même, vivait une très vieille femme qui était fatiguée et qui avait peur au delà du supportable. »101

Pour B. Bettelheim ces enfants sont victimes d’exclusion

‘« Comme le monde qu’il avait trouvé ne lui accordait pas la moindre autonomie, il s’était crée un monde séparé, unique, bien à lui. L’univers de la chaleur humaine lui était si fermée qu’avoir des émotions équivalait à souffrir. »102

Nous ne pouvons que souligner comme P. Fustier l’a fait à l’occasion d’un conférence de l’Ecole Doctorale de Lyon, que Bettelheim lui-même a vécu dans les camps de concentration et combien est grand son désir de redonner vie à ces enfants.

Notes
95.

BETTELHEIM B., La forteresse vide, p. 19. (16)

96.

La forteresse vide, op. cit., p.171. (16)

97.

La forteresse vide, op. cit., p.163. (16)

98.

Ibidem, p.138. (16)

99.

Ibidem, p.203. (16)

100.

HOCHMANN J., Pour soigner l’enfant autiste, p.19. (72)

101.

La forteresse vide, op. cit., p. 139. (16)

102.

Ibidem, p. 302. (16)