2.2.2.2. Les données actuelles

En ce qui concerne les apports psychanalytiques propres, des avancées considérables ont été faites dans la compréhension des troubles autistiques.

A la suite des travaux de M. Klein, les points de vue psychanalytiques sur les psychoses connaissent un grand développement. Les auteurs qui ont donné le plus d’ampleur à cette conceptualisation sont F. Tustin, D. Meltzer, et plus récemment G Haag, J. Hochmann et bien d’autres encore. Tous envisagent les phénomènes autistiques précoces comme des manoeuvres défensives pour affronter des angoisses précoces terrifiantes que l’appareil psychique du nouveau-né n’est pas apte à traiter.

Les hypothèses psychanalytiques tentent de comprendre comment s’organise la psyché de l’enfant autiste.

‘« Les analystes, les psychothérapeutes, les psychiatres qui se réclament du point de vue psychodynamique ne regardent pas l’enfant de l’extérieur, n’objectivent pas ses bizarreries et ses spécificités mais entrent en relation avec lui et se laissent imprégner par ses modes de communication perturbés et perturbants. »103

Actuellement une majorité de cliniciens opte pour un déterminisme polyfactoriel en considérant un ensemble de facteurs, et ce, en vue d’améliorer la compréhension d’un trouble qui pose de nombreuses questions.

Sont pris en compte :

  • des déficits constitutionnels : on peut envisager l’éventualité de déficiences neurologiques, de déséquilibres métaboliques ou hormonaux ;
  • des prédispositions du bébé ;
  • des dispositions psychologiques de la mère : elle peut ne pas être disponible pour des raisons de conflits infantiles non résolus, ou à cause d’événements, de personnes extérieures, du bébé ou encore de la combinaison de tous ces facteurs.

Dans cette façon d’envisager l’étiologie, la notion de traumatisme est relativisé. M. Soulé et S. Lebovici ont contribué à désamorcer ce que les parents ressentaient comme une attaque. L’idée d’un trouble psychogène véhiculé par les parents est dénoncée. Pour ce faire, ils rappellent que pour Freud, l’expérience traumatique est celle d’un moi débordé par un excès d’excitation, provenant aussi bien de l’intérieur que de l’extérieur, qu’il a pu parfois lui-même recherché et qu’il ne parvient plus à maîtriser. Ce n’est qu’après coup qu’une expérience infantile bénigne revient à la mémoire chargée d’affects et de danger.

F. Tustin, D. Meltzer ont été parmi les premiers à faire des hypothèses sur le fonctionnement psychique des enfants autistes. Tous ces auteurs nous entraînent, chacun à leur manière passionnante, et avec leur terminologie propre, dans « l’exploration du monde de l’autisme » selon le titre bien connu de l’ouvrage de D. Meltzer. A la différence des cognitivistes qui voient l’autisme comme un manque de théorie de l’esprit, les psychanalystes le considèrent comme une défense contre des angoisses archaïques générées par la prise en compte de l’écart entre la perception et les croyances supposées. F. Tustin a montré, à partir de matériels cliniques, les angoisses fondamentales de ces enfants provenant du sentiment précoce d’arrachement. L’enfant se construirait une carapace dans laquelle, investissant ses propres sensations internes, il produirait des « formes autistiques », à la racine des « objets autistiques », constitués de parties du corps de l’enfant ou d’objets du monde extérieur perçus comme étant du corps propre. D Meltzer applique à l’autisme deux concepts nouveaux : l’identification adhésive et le démantèlement. Ces concepts permettent tout aussi bien de comprendre, donc à partir des mêmes données, qu’il y a plusieurs interprétations possibles. Des critiques peuvent être portées à l’encontre de cet abord phénoménologique. Tout d’abord la difficulté de considérer l’autisme en tant que système défensif, et ensuite combien il est hasardeux d’imputer au bébé des fantasmes d’arrachement de la bouche ou du sein.

Le point de vue psychanalytique est complexe et difficile à transmettre.

‘« L’autisme infantile pose de manière radicale le problème des rapports du corps et de l’esprit, de l’origine de la pensée et de son incarnation dans le fonctionnement cérébral. Il défie nos capacités de représentation en nous confrontant à des processus mentaux qui se déroulent dans l’en deçà de l’intégration. »104

Peu de thérapeutes soignent les enfants autistes. J. Hochmann remarque qu’il est un peu difficile de l’admettre, lorsque la psychanalyse a été le traitement le plus prometteur, évinçant de fait toutes les autres approches. Cette réputation a autorisé certains psychanalystes à prendre des positions qui outrepassent les règles de conduite auxquelles ils sont tenus.

‘« C’est ainsi que certains psychanalystes sont arrivés à oublier que leur méthode et leurs outils ne leur donnaient aucun droit d’explorer, encore moins de juger la réalité extérieure, le quotidien de la vie de l’enfant, ses relations réelles avec les personnes de son entourage. »105

Notes
103.

HOUZEL D., Théorie de l’esprit et développement de la symbolisation chez l’enfant autiste. (82)

104.

Cordélia ou le silence des sirènes, op. cit., p. 30. (74)

105.

Théorie de l’esprit et développement de la symbolisation chez l’enfant autiste, op. cit. (82)