2.4.2. La temporalité

Dans la névrose nous dit P. Félician, quand une difficulté apparaît, le psychanalyste peut tenter de repérer ce qui fait obstacle à son écoute. Le progrès de la cure sera subordonné à l’analyse de cet obstacle. Par contre lorsque nous sommes confrontés à un enfant autiste, ce que nous percevons nous est tellement étranger que l’écart entre le réel et l’expérience semble encore plus large. P. Félician demande :

‘« Peut-on aborder l’autisme sans faire référence constamment à notre expérience ? »’

Il poursuit sa réflexion :

‘« Il se dessine ici un point d’impossible qui nous amène à penser l’autisme, non comme une structure propre, mais comme le résultat d’une défaillance survenue lors de la construction d’une structure comparable à la nôtre. Il apparaît d’ailleurs indispensable, face à un enfant autiste, d’élaborer soi-même, à partir de ce qu’il nous montre, ce qu’il ne peut nous dire, faute de parole. Ce ne sont que des constructions, des hypothèses, mais elles nous permettent de nous composer une représentation de son histoire et de ses processus de pensée. Si nous ne réalisons pas ce travail, l’enfant nous entraîne dans son monde. »139

D. Meltzer fait l'hypothèse que l'enfant autiste structure différemment sa perception du temps à cause de la manière particulière dont il appréhende son environnement et au fait qu'il ne puisse accéder à l'identification projective.

‘« [...] le self qui vivrait dans un monde bidimensionnel serait handicapé à la fois dans la mémoire, le désir et la capacité de prévoir. »140

P. Félician remarque que dans la cure d’un névrosé, le temps est lié à la place du sujet dans son histoire, au transfert (réactualisation d’un temps autre) à son désir et à celui de son analyste. Alors que dans les cas d’autisme, la question se pose en d’autres termes :

‘« D’histoire, le sujet ne s‘en reconnaît point. Il y a celle que les autres disent à son propos, mais ce n’est pas une histoire où il se reconnaît. Mutique, il ne pourra même pas s’inventer une reconstruction délirante. »141

Il n’a pas d’histoire au sens où un sujet s’inscrit et se repère dans la trame signifiante que constitue son histoire. L’esprit humain habite le langage, vit le langage, et se nourrit de représentations. Les mots sont à la fois des indicateurs, qui désignent les choses, et des évocateurs, qui suscitent la représentation de la chose nommée. J. Hochmann indique que pour lui :

‘« La pensée de l’autiste est une pensée concrète, opératoire, robotisée. »142

Les autistes ne savent pas faire de comparaison, n’utilisent pas les mots de liaison. Ils évitent soigneusement tout usage de la métaphore et ils se défient de l’imaginaire.

Dans une cure de ce type, la difficulté pour le thérapeute est de permettre à l’enfant de sortir de son état d’isolement. Pour cela, il doit lui-même ne pas s’y perdre, d’autant que ses paroles sont souvent sans effet. Ainsi que le dit F. Tustin, « comprendre ne signifie pas être complaisant à l’égard de leur pathologie ». La scansion temporelle, elle, joue le rôle ponctuel d’un point de repère sans que puisse s’y arrimer une quelconque logique signifiante. Dans cette dérive temporelle, ce qui fait fonction de borne, au sens d’introduire une limite dans le temps et dans l’espace, c’est le corps du thérapeute en tant qu’il est porteur d’une parole.

Notes
139.

FELICIAN P., L’autisme, le temps du silence, p. 33. (37)

140.

Explorations dans le monde de l’autisme, op. cit., p. 234, 235. (113)

141.

L’autisme, le temps du silence, op. cit., p. 33, 34. (37)

142.

Cordélia ou le silence des sirènes, op. cit., p. 33. (74)