3.2. La notion d’institution et de groupe institutionnel

3.2.1. Les rapports complexes entre l’individu et l’institution

Les liens entre le sujet et l’institution sont étroitement intriqués. En naissant tout individu se trouve impliqué dans un jeu complexe d’institutions. Présente à tous les niveaux de la société, l’institution influe sur notre manière de fonctionner. D’après R. Kaës :

‘« Elle s'inscrit dans la permanence et règle les rapports entre les personnes, leur préexiste et s'impose à elles. Elle réalise des fonctions psychiques multiples pour les sujets singuliers dans leur structure, leur dynamique et leur économie personnelle. »166

L’institution, selon lui, répond à des principes fondateurs :

‘« [...] elle assure l’existence d’un groupe en sauvegardant les biens ; elle réglemente les désirs, les interdits et les échanges ; des places, des fonctions sont assignées selon une organisation et régies par un code. »167

Les travaux des psychanalystes sur les groupes et les institutions ont montré que la vie psychique n’est pas exclusivement centrée sur un inconscient personnel, qui serait comme une sorte de propriété privée du sujet singulier. J. Bleger l’énonce de la façon suivante :

‘« Ce qui s’est imposé à moi comme évidence c’est que toute institution est une partie de la personnalité de l’individu, et cela au point que l’identité est toujours entièrement, ou en partie, institutionnelle au sens qu’au moins une partie de l’identité se structure par l’appartenance à un groupe, à une institution, à une idéologie, à un parti, etc. »168

R. Kaës, ajoute qu’une part de l’individu, qui le tient dans son identité même, et qui compose son inconscient, ne lui appartient pas en propre mais aux institutions sur lesquelles il s’étaye et qui tiennent cet étayage. Dans l’institution il arrive que l’on fasse

‘« [...] l’expérience de la folie commune, de notre partie folle cachée dans les plis de l’institution : massivité des affects, ressassement obnubilant et répétitif d’idées fixes, paralysie de la capacité de pensée, haines incontenables, attaque paradoxale contre l’innovation de pensée, acting et somatisations violentes. Ces souffrances et cette pathologie sont un des passages vers la connaissance de la dimension psychique de l’institution. »169

De ce fait, les difficultés à penser l’institution sont nombreuses et proviennent de sources fort différentes. Plusieurs raisons majeures peuvent être signalées. D’une part, l’institution renvoie à un emboîtement de cadres et à différents niveaux d’analyse dans lesquels il n’est pas aisé de se repérer.

‘« Le cadre du groupe thérapeutique est dans un rapport d’emboîtement et de réciprocité avec le cadre de l’institution elle-même, et avec le cadre interne du thérapeute. »170

P. Fustier donne la représentation d’une structure à trois étages :

‘« Nous proposons donc une lecture de l’institution à partir d’un système à trois niveaux : une superstructure, qui permet d’observer un fonctionnement du quotidien, et qui s’origine à deux étages différents. Au niveau de l’infrastructure, des organisateurs psychiques infléchissent, donnent couleur et sens à la vie institutionnelle. Au niveau intermédiaire, une zone « idéologico-théorique » capte les courants de pensées, les théories et les idéologies venus de l’extérieur, les transforme en argumentaire et constitue les « raisons » pour lesquelles tel ou tel type de fonctionnement a été choisi. »171

D’autre part, Freud l’a montré, l’institution confronte l’individu à deux logiques : le désir de satisfaire ses fins propres et le renoncement nécessaire au fonctionnement de l’ensemble. L’individu est pris dans le réseau du langage commun et souffre de ne pas y faire reconnaître la singularité de sa parole. Il est à la fois dans et hors de l’institution. R. Kaës appelle formations intermédiaires les croisements entre

‘« [...] l’espace psychique du sujet singulier et l’espace psychique constitué par leur groupement dans l’institution. »172

Ces formations n’appartiennent ni au sujet singulier, ni au groupement, mais à leur relation. Ce sont des alliances, des pactes.

Notes
166.

KAES R., Réalité psychique et souffrance dans les institutions, p. 8. (87)

167.

Ibidem, p. 8. (87)

168.

BLEGER J., Psychanalyse du cadre analytique, p. 257. (20)

169.

Réalité psychique et souffrance dans les institutions, op. cit., p. 5. (87)

170.

Ibidem, p. 18. (87)

171.

FUSTIER P., L’infrastructure imaginaire des institutions, p. 133. (54)

172.

Réalité psychique et souffrance dans les institutions, op. cit., p. 17. (87)