3.3.2. Psychothérapie institutionnelle et contre-transfert institutionnel

Selon les écrits de Decobert,

‘« Racamier a été le psychiatre le plus engagé dans la réorganisation des soins aux patients psychotiques à partir de théorisations et de pratiques hospitalières très originales mais directement inspirées de la compréhension psychanalytique. »194

P. C. Racamier a insisté sur l’importance de la notion de soin psychiatrique et employé ce terme pour décrire un ensemble de pratiques qui utilisent la médiation de la vie quotidienne afin d’entrer en contact avec les psychotiques et les aider à donner sens à leur existence. Il distingue la forme des traitements spécifiques du fond soignant général sur lequel ces traitements se développent. Les soignants assurent la « fonction basale de présence » et des fonctions plus différenciées « d’aide au moi des patients ». Les soignants sont une présence stable, disponible, souple et non écrasante. Le moi psychotique souffrant de graves perturbations dans l’exercice de ses fonctions, le soin vise à le rendre plus fort.

Racamier évoque

‘« [...] l’extraordinaire puissance, la massivité et l’archaïsme fondamental des mécanismes psychotiques. »195

et souligne l’intérêt de tirer parti dans le soin institutionnel des phénomènes de transfert. Les mouvements affectifs des médecins, soignants et malades sont pris en compte dans la technique de soin que Racamier applique dans l’institution. Il propose trois affects universels : l’anxiété, l’hostilité et la tendresse ; et les défenses leur correspondant.

‘« Certaines organisations individuelles et collectives sont faites pour n’avoir jamais à rencontrer cette angoisse, et dans ce but les relations de soins sont distendues, impersonnalisées et obsessionnalisées [...] Une autre défense, de type contraphobique consiste à nier la peur et à faire comme s’il n’en existait jamais. »196

Les mouvements affectifs décrits sont souvent des défenses dont

‘« [...] l’effet et la fonction consistent à se protéger du malade et à suspendre son évolution ; ils peuvent dans les organismes de soins prendre des dimensions et une puissance institutionnelles. »197

Mais pour Racamier,

‘« [...] ces réactions représentent non pas seulement des réactions induites par les positions inconscientes des patients mais d’une façon plus générale, tout ce que les psychotiques ne prennent pas à leur compte. »198

Il poursuit :

‘« [...] ces mouvements seront donc utilisés, dans le soin institutionnel, c’est à dire d’une façon collective comme les éléments complémentaires d’un orchestre. »199

Racamier, dès 1970, introduit cette notion qui sera reprise et élaborée de différentes manières par d’autres auteurs. Il insiste, et cela est important pour mon sujet, sur la part institutionnelle :

‘« Entre les expressions pathologiques des malades et la structure institutionnelle, entre celle-ci et certaines contre-attitudes soignantes des liaisons dynamiques s’établissent. Il faut se demander dans quelle mesure les positions défensives que l’on cherche à mobiliser sont le fait direct de la personnalité du sujet qui les présente, et dans quelle mesure complémentaire l’effet de la structure institutionnelle. »200

C. et P. Geissmann se situent dans la mouvance de Racamier en attribuant à l’institution une simple fonction de cadre soignant à l’intérieur duquel viennent se loger les entreprises psychothérapiques. S’interrogeant sur les processus institutionnels, ils nomment processus « d’asilisation », la transformation progressive de l’institution soignante en asile. Dans ce système, la capacité thérapeutique de l’institution est toujours remise en question par un incessant travail de sape.

‘« La rencontre d’une institution et de la folie est en elle-même porteuse du risque d’asilisation. »201

Ce processus est un mode de défense de l’institution et des soignants. Mais celui-ci fige la vie institutionnelle et aussi celle des patients. L’exemple le plus frappant est, selon C. et P. Geissmann, la répétition contre une rupture douloureuse de lien symbiotique induite par un changement chez l’enfant. Ils citent Searles sur « l’effort pour rendre l’autre fou » :

‘« Au cours de cette phase nous avons tendance, malgré nous, à lutter avec acharnement pour que notre patient ne fasse pas de progrès importants, progrès que quelque part en nous, nous sentons comme devant avoir lieu dans un avenir lointain. »202

D’autres signes d’asilisation peuvent s’exprimer aussi bien au niveau du cadre institutionnel qu’au niveau du fonctionnement de l’équipe soignante. Au niveau du cadre, l’impression qui prédomine est celle de vivre désormais comme naufragés dans une île. Les relations avec l’extérieur sont désinvesties. Le temps n’a plus d’importance. A l’image des processus psychiques de l’enfant autiste, nous dit J. Hochmann,

‘« [...] l’homogénéisation réduit tout à l’indifférence, amalgame en une bouillie informe, un chaos sans limites et sans principe organisateur. »203

Au niveau de l’équipe soignante, la modification la plus sensible est celle de la qualité de l’investissement que réalisent les soignants sur leurs patients. En effet ceux-ci peuvent perdre leur qualité de malades et devenir transparents pour leurs soignants. Avec la disparition de la reconnaissance de la maladie mentale des enfants, disparaît la notion de projet thérapeutique, les soignants s’entendant alors entre eux pour savoir ce qui est nécessaire aux enfants. Les psychiatres se trouvent évacués en même temps que la maladie mentale. Mais l’enfant « fou » peut aussi devenir l’objet d’un attachement passionné. Le soignant, à l’instar de certains parents d’enfants autistes, devient détenteur de sa vérité et refuse tout partage de l’enfant avec l’équipe qui va l’accepter. C’est ce qu’a décrit M. Woodbury sous le nom de « duos paranoïaques », des sortes d’isolats culturels, des autismes à deux ou à plusieurs, crispés sur une méthode, une doctrine ou simplement une illusion commune de parfaite communication avec l’extérieur.

Notes
194.

DECOBERT S., Hommage à P. RACAMIER, p. 5. (27)

195.

RACAMIER P.C., Le psychanalyste sans divan, p. 240. (118)

196.

Le psychanalyste sans divan, op. cit., p. 308. (118)

197.

Ibidem, p. 262. (118)

198.

Ibidem, p. 262. (118)

199.

Ibidem, p. 262. (118)

200.

Le psychanalyste sans divan, op. cit., p. 305. (118)

201.

GEISMANN C. et P., Quand l’institution devient un asile, p. 177. (56)

202.

Ibidem, p. 178. (56)

203.

HOCHMANN J., La consolation, p. 27. (75)