3.3.3. Une lecture métapsychologique

Plusieurs auteurs R. Cahn, X. Jacquey, M.C. Laznick et B. Penot, travaillant avec des enfants et des adolescents psychotiques, soulignent le fait que, derrière les contre-attitudes des soignants, des interactions archaïques que l’enfant a pu avoir avec ses proches sont réactivées et sont suscitées à nouveau dans son entourage thérapeutique. X. Jacquey204 a proposé les concepts de transfert et contre-transfert subjectal. Subjectal étant à comprendre dans un double registre : premièrement, ce n’est pas l’enfant qui opère un transfert sur l’adulte mais le soignant en tant que support d’un désir ou d’un mouvement pulsionnel envers le psychotique ; deuxièmement, il ne s’agirait pas de la subjectivité personnelle du soignant mais de quelque chose d’induit en lui au contact du psychotique comme reproduction de positions parentales qui n’avaient justement pas pu être internalisées.

M.C. Laznick et B. Penot proposent un modèle de compréhension pour rendre compte du phénomène de compulsion de répétition avec lequel l’un et l’autre se trouvent souvent confrontés dans leurs institutions respectives.

‘« Lorsqu’un patient est pris en charge dans le cadre d’une institution psychothérapique, c’est le travail de synthèse clinique effectué par l’équipe soignante qui constitue le mode privilégié de saisie des données familiales mal symbolisées. Celles-ci pourront être appréhendées à partir de la survenue dans l’équipe thérapeutique elle-même, de certaines répétitions. La mise à jour en équipe des données familiales et des vécus subjectifs de chacun suppose qu’un certain consensus de recherche soit partagé par les protagonistes. En effet, c’est dans l’espace psychique de ces derniers, fonctionnant comme « hôtes », que les données manquantes à la résolution du cas seront avant tout susceptibles d’être identifiables. »205

Afin de montrer comment la compulsion de répétition est à l’œuvre tout au long de la prise en charge de ces cas marqués de déni, M.C. Laznick et B. Penot utilisent le commentaire de J. Lacan à propos du conte d’E. Allan Poe, « La lettre volée ». B. Penot rappelle succinctement la mise en scène du drame :

‘« E. Poe organise une première scène où la reine est surprise en son boudoir par l’arrivée impromptue de son royal époux accompagné du premier ministre, alors qu’elle était elle-même occupée à prendre connaissance du contenu d’une lettre à caractère confidentiel. Le jeu de la reine va consister à poser carrément cette lettre sur la table, sous le nez du roi, qui du coup n’en perçoit rien. Mais l’ambitieux ministre aux aguets saisit instantanément le manège et a soupçon du caractère compromettant de la lettre ; une habile substitution lui permet de l’empocher tranquillement, de sorte qu’il pense tenir la reine en otage. Dans la deuxième scène la police aux ordres de la reine va fouiller l’appartement du ministre avec minutie mais ne trouve pas la lettre. Dupin, à qui le préfet de police confie sa difficulté à trouver la lettre, repère au premier coup d’œil la lettre bien en évidence devant la cheminée du ministre mais rendue méconnaissable. »206

B. Penot signale que Lacan attire l’attention du lecteur sur le phénomène de répétition :

‘« Ce qui nous intéresse aujourd’hui, précise-t-il, c’est la façon dont les sujets se relaient dans leur déplacement, au cours de la répétition intersubjective. »207

La place occupée par les protagonistes par rapport à l’objet qui anime leur action, s’avère en effet déterminante pour ce qui confirme l’attitude subjective qui pourra être la leur. C’est notamment ce qui se confirme régulièrement à propos de l’aveuglement ou du degré de clairvoyance des différents membres d’une équipe thérapeutique aux prises avec les registres d’aliénation d’un cas.

L’aptitude à penser dépend essentiellement, du moins au début, de la place que chacun occupe dans la distribution des rôles subjectifs (transférentiels) autour de ce patient, bien davantage que la fonction qu’il est censé remplir et même la formation qu’il a pu valider. Cela constitue semble-t-il à B. Penot, une bonne raison de travailler à plusieurs thérapeutes avec les cas de maladie mentale grave.

Autour de l’enfant autiste, dans une institution, un certain nombre de scénarii se jouent inlassablement. Voici un cas clinique que j’ai vécu et qui illustre bien cette répétition. Everest , nous l’appellerons ainsi, est un petit garçon mutique, autiste, qui a 4 ans et demi lors de son arrivée à l’hôpital de jour. Il a été massivement rejeté de l’école maternelle. Il présente tous les signes caractéristiques de l’autisme : replié sur lui-même, il ne parle pas, indifférent au monde qui l’entoure, il s’isole dans des stéréotypies. D’après les parents, Everest a été un bébé extrêmement calme, interagissant très peu. C’est un enfant énigmatique et difficile. Il a des conduites alimentaires perturbées alternant des périodes d’anorexie et des périodes de boulimie. L’évolution de cet enfant est très lente. Un retour de vacances d’été est particulièrement difficile. Everest a un comportement très régressé. Pendant ces vacances, les parents sont retournés dans leur pays d’origine. Everest s’est mis à refuser toute nourriture pendant le voyage. Sur place il a été constamment dans les bras des membres de la famille. A son retour au centre, nous observons une recrudescence des automutilations. Tout le monde se sent extrêmement démuni et s’interroge sur sa capacité à soigner cet enfant. Des conflits opposent l’équipe : il y a ceux qui défendent l’enfant et ceux qui ne le supportent pas. Des reproches sont faits sur la façon de s’y prendre avec lui, notamment au cours des repas. En effet, Everest jette la nourriture, écrase ses aliments sans pour autant les manger, jette couverts et assiettes. Tour à tour le soignant qui a en charge l’enfant est perçu comme s’y prenant mal avec l’enfant, incompétent. Cette incompétence est de nouveau évoquée lorsqu’un lundi matin Everest revient à l’hôpital de jour avec le visage tuméfié par les coups qu’il s’est infligé. Mais de cela, la mère n’en dit rien à l’infirmier qui accueille l’enfant. Elle esquive la question de l’infirmier d’un banal « ça va », ce qui a pour effet de la rendre « insensible » et incompétente aux yeux du soignant. La mère de Everest peut dire, lorsque je la reçois, qu’elle se sent très culpabilisée par les remarques de sa belle-famille qui lui fait sentir qu’elle s’occupe mal de l’enfant et qu’elle devrait le garder à la maison plutôt que de l’emmener à l’hôpital de jour. La discussion de ces événements en réunion d’équipe a permis à l’enfant de retrouver une attitude plus sereine.

Ce que nous avons pu observer là c’est ce schéma répétitif se rejouant dans l’institution avec le même texte dramatique, les mêmes rôles que dans l’environnement familial. On constate que ces rôles peuvent être tenus par différents acteurs. C’est tour à tour l’infirmier, la mère de Everest qui sont incompétents aux yeux des autres protagonistes.

La mise en commun des vécus de chacun lors de la réunion d’équipe hebdomadaire a permis de déjouer la répétition, désamorçant les sentiments hostiles, et d’éviter la sortie prématurée de l’enfant.

Notes
204.

JACQUEY X., De l’analyse des phénomènes contre-transférentiels en termes de contre-attitudes dans le champ psychothérapique institutionnel. (84)

205.

PENOT B., Figures du déni, p 137. (116)

206.

Figures du déni, op. cit., p 137. (116)

207.

Ibidem, p. 138. (116)