5.5.3. Aspects des contre-attitudes institutionnelles

Les troubles autistiques que présentent certains enfants conduisent l’institut médico-éducatif à élaborer deux dispositifs successifs pour les accueillir. Ces positions inhabituelles singularisent le groupe d’autistes dans une institution à vocation éducative. Les attitudes institutionnelles adoptées nous paraissent révélatrices de ce que la pathologie autistique peut générer.

Le premier dispositif, à visée thérapeutique, se démarque très nettement de la pratique institutionnelle habituelle. Soutenus par le psychiatre de l’institution, les éducateurs se transforment en soignants. Très soucieux d’obtenir des résultats, ils s’investissent passionnément dans leur tâche. Un engouement pour la psychanalyse et son application à la vie quotidienne de l’institut est observé. La « Psychanalyse », mise sur un piédestal, apparaît comme l’instrument « magique » qui va permettre de sortir les enfants autistes de la cage de verre dans laquelle ils sont enfermés. Le psychiatre est celui qui apporte la connaissance. Elle lui confère, même s’il s’agit d’une place imaginaire, une position de toute puissance au sein du groupe. Il est celui à qui on réfère chaque fait, chaque difficulté. Le groupe d’éducateurs, très identifié à son « maître à penser », adopte de façon univoque les règles analytiques. Désir de l’enfant, mise en mots, interprétation sont respectés scrupuleusement. Les questions sur le maniement du transfert, les conditions d’une interprétation, le risque d’utiliser ses propres mots et fantasmes et de transformer les mots en objets violents, la place des éducateurs ne se posent pas (ils étaient ceux-là mêmes qui les lavaient et leur donnaient à manger). On est loin des théories plus récentes qui insistent, au contraire, sur la nécessité d’une relation stable, mais partielle et lacunaire, afin qu’une place soit laissée à l’élaboration symbolique et au manque. L’accent était mis sur la relation duelle. D. Anzieu fait remarquer

‘« [...] qu’elle désigne, au sens strictement psychanalytique, non pas un dispositif matériel mais la relation symbiotique du nourrisson à sa mère. »250

Petit à petit, le système qui vit de façon isolée se trouve aux prises avec le processus autistique : isolement, fascination, immuabilité. L’application des règles psychanalytiques à des enfants autistes a semble-t-il produit un enfermement. Car dire ce que l’on comprend ou ce qui vient à l’esprit ne suffit pas à provoquer un changement. Il s’est formé un cocon, un îlot sans investissement relationnel extérieur. D’après J. Hochmann :

‘« L’enfant autiste est habile à susciter chez ses éducateurs des fantasmes de toute puissance, à laisser croire qu’eux seuls possèdent la bonne manière pour les aider et qu’en dehors d’eux le monde est composé d’incapables. Mais bien vite le sentiment contraire apparaît, sous la forme d’une totale impuissance. A la fascination éblouie par l’enfant, à l’illusion d’être seul à pouvoir le comprendre et l’aider menacent toujours, de succéder le désespoir, un sentiment de vide et d’incompétence. »251

Le départ du psychiatre déclenche une dépression épouvantable. Les angoisses primaires sont activées. L’éprouvé groupal est de l’ordre de l’abandon, de la détresse psychique, du défaut de contenant.

La création d’un deuxième dispositif émerge suite à la crise consécutive au départ du psychiatre. Une partie du groupe d’éducateurs soutenue par la directrice de l’établissement opte pour une nouvelle orientation théorique. Il s’agit de la méthode d’apprentissage structurée en lien avec la méthode TEACCH. Ce choix théorique très différent de la méthode psychanalytique est à son tour investi de manière très forte. Il y a un clivage très net entre le premier et le deuxième dispositif. Les éducateurs prônent un discours situé aux antipodes de la théorie psychanalytique. Ce nouvel objet à penser vient s’inscrire contre ce qui a pu être pensé précédemment. Alors qu’auparavant les éducateurs considéraient « que les autistes s’étaient retirés d’un monde affreux », ils soulignent maintenant l’importance des troubles du développement impliquant des dysfonctionnements neurologiques : « On naît autiste ». L’autisme est présenté comme un simple défaut d’équipement et ce sont les handicaps qui sont identifiés. Ce n’est pas que les enfants se mettent en retrait, mais plutôt qu’ils ne développent pas de réciprocité sociale dès le début. Il semble que ce que l’on cherche à éliminer à tout prix, c’est l’idée d’un trouble affectif ou relationnel. D’ailleurs cette façon de voir les choses gomme la souffrance du jeune et ce terme n’apparaît plus dans le discours des éducateurs. Le choix strictement éducatif évite au maximum les attaques d’angoisse. Les enfants autistes sont handicapés à vie, cela ne leur permet pas d’intégrer les stimulations du monde extérieur, mais une rééducation comportementale peut les aider. Le discours TEACCH simplifie la complexité clinique et permet de se représenter l’autisme de façon simple et claire. En faisant de l’autonomie du jeune l’objectif principal, les actes de la vie quotidienne sont réhabilités. Le programme d’éducation adaptée consiste à faire la liste des symptômes-cibles indésirables et à développer une série de stratégies correctrices. Le profil psycho-éducatif (PEP) pour adolescents et adultes produit un profil d’apprentissage dans les domaines suivants : aptitude professionnelle, fonctionnement indépendant, aptitude de loisir, comportement professionnel, communication fonctionnelle et comportement interpersonnel. Des aptitudes émergentes sont distinguées d’aptitudes acquises et d’autres pas encore accessibles. Ces instruments d’évaluation font que l’attention de l’équipe est principalement concentrée sur l’utilisation des aptitudes émergentes. En effet, l’évaluation diagnostique est convertie en un programme d’enseignement structuré écrit. Reprenant à sa manière, les idées de Bettheleim, E. Schopler préconise d’organiser pour chaque enfant un programme à la carte qui tient compte de ses possibilités. En ce qui concerne l’institution nous pouvons dire que l’investissement massif d’une théorie est le même dans les deux dispositifs. Il a pour mission d’éloigner de la pensée l’angoisse suscitée par la pathologie autistique.

Notes
250.

Le groupe et l’inconscient, op. cit., p. 107. (6)

251.

Pour soigner l’enfant autiste, op. cit., p. 261. (72)