6.1. L’institution de type « charismatique »

Dans l’institution « charismatique », c’est un leader, une théorie ou encore une méthode fétiche qui est au centre de l’espace institutionnel. Le maître ou le modèle à penser est placé au rang d’idéal. La théorie est aussi bien psychanalytique que cognitive ou autre. La posséder permet aux soignants de se grouper autour d’un leader charismatique et de lutter contre les angoisses générées par la pathologie autistique. Ce phénomène de groupe donne le sentiment d’être intouchable. Dans le même ordre d’idée, D. Anzieu décrit dans « Fantasme et formation » le sentiment de toute puissance que peut parfois procurer au candidat analyste la perspective de devenir psychanalyste :

‘« Devenir psychanalyste n’est pas seulement devenir tout-puissant ; c’est acquérir aussi un attribut traditionnel de la divinité, l’omniscience. Le psychanalyste est supposé en savoir plus sur le sujet que lui-même n’en sait. »252

D. Anzieu ajoute :

‘« Le savoir sur un secteur de la réalité est de type paternel. Le savoir absolu sur un individu singulier est de type maternel : connaître l’inconscient comme la mère est censée comprendre ses petits intuitivement, en s’offrant à leurs désirs, en lisant directement dans leurs pensées. »253

Les relations leader/groupe de soignants s’organisent sur un mode archaïque oral. Le « chef » occupe une fonction semblable à la mère nourrice, les soignants sont eux dans la position du nourrisson :

‘« [...] qu’il absorbe, consomme, qu’il se nourrisse, boive le lait de la science, mange la substantifique moelle et le miel de la connaissance ... que ce nourrisson soit un infans, une bouche recevant la nourriture, et non pas émettrice d’une parole. »254

La dépendance au leader confère à celui-ci le pouvoir de légitimer les soignants. L’identification au leader étant très forte, le groupe institutionnel peut revêtir quasiment des aspects de secte. Selon J. Hochmann :

‘« Ils (les soignants) tendent à se confondre en un magma indifférencié où tout le monde pourrait tout et la même chose puisque le pouvoir de chacun irradie de la même source. »255

Cette indifférenciation donne force au leader, et quiconque viendrait attaquer l’idéal serait aussitôt exclu. Le mécanisme de défense prévalant dans ce type d’institution est le clivage. La vie institutionnelle est organisée autour de l’idéal vénéré qui s’accompagne d’un mépris et d’un rejet de tous les autres. Ce dernier « sait » et il n’y a pas de doute possible. Ce genre de fonctionnement institutionnel laisse peu de place à une autre pensée qui paraît suspecte et est disqualifiée avant même d’être considérée.

Ce type de défense, coûteux, nécessite une grande dépense d’énergie. Lorsque le leader ne peut plus, pour une raison ou une autre, répondre aux exigences de son statut, il est rapidement déchu. Les soignants déstabilisés par la défaillance de leur « tête pensante » se sentent désemparés. Pour se défendre de leurs angoisses, le leader devient l’objet d’attaques violentes. Dans ce cas le leader peut encore préserver sa place en recherchant des alliances ou sinon démissionner. Dans l’institution charismatique la transmission du savoir ne peut s’effectuer qu’avec un leader bis, sorte de « clone », qui reproduit à l’identique le fonctionnement initial.

L’autisme infantile semble favoriser les conditions d’émergence d’un leader.

B. Bettelheim représente une figure emblématique dans ce domaine. D’abord encensé par les médias, il a ensuite fait l’objet de critiques virulentes. Ses livres et sa technique ont séduit de nombreux professionnels. Persuadés de la guérison des enfants autistes, ils ont essayé d’appliquer ses méthodes. E. Schopler, ancien collaborateur de l’Ecole Orthogénique a créé en réaction à l’incompréhension freudienne de l’autisme, le modèle « bettelheimien », un programme d’éducation pour les enfants autistes. Basé sur la collaboration étroite entre professionnels et parents, le programme remporte un vif succès. La méthode fait de nombreux adeptes. Dans ma recherche, j’ai pu constater comment au sein d’une même institution une personne, un psychiatre, puis une méthode d’éducation structurée sont devenus tour à tour la référence exclusive d’une équipe. Dans d’autres cas, Mme S., l’institutrice, par exemple, est à sa manière un leader du fait de son charisme. Elle sera bien difficile à remplacer...

Le risque encouru par l’institution « charismatique » par l’utilisation excessive et exclusive d’une théorie ou d’un modèle est de perdre son appareil à penser et sa créativité. Cet investissement univoque rigidifie la pensée et sclérose l’intérieur du système qui finit par mourir, du moins psychiquement. Cela peut conduire à devenir une institution de type île, à la création d’une institution à l’intérieur de l’institution.

Notes
252.

Fantasme et formation, op. cit., p. 108. (90)

253.

Ibidem, p. 108. (90)

254.

Ibidem, p. 31. (90)

255.

Pour soigner l’enfant autiste, op. cit., p. 84. (72)